Face à la crise sanitaire, à l’annulation en chaîne des grandes foires internationales et aux enjeux écologiques, le monde de l’art imagine de nouveaux lieux et de nouvelles formes d’exposition. Panorama, à Paris et région parisienne, de ces propositions.
C’est une forme d’hospitalité née de la négociation avec les éléments, une tentative de flotter plutôt que de ployer par vents contraires. “Hospitalités”, tel est le nom du programme imaginé par plus de trente-cinq galeries du Grand Paris, décidées à perpétuer malgré tout l’échange international auquel donne lieu fin octobre la FIAC – pour Foire internationale d’art contemporain. La nouvelle de son annulation tombait le 14 septembre dernier, et bien que la décision de sa directrice Jennifer Flay soit sans surprise, fondée sur un sondage mené auprès des exposant·es, la décision n’en déclenchera pas moins une vague de réactions critiques de la part de certain·es galeristes français·es.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il faut dire que la FIAC était alors la dernière, sur le circuit des grandes foires internationales, à laisser en suspens sa décision. Après avoir initialement décalé son édition à septembre, la doyenne suisse Art Basel annonçait début juin transférer son édition physique au format virtuel des viewing rooms – la solution renforcée ou bricolée par la plupart des galeries pendant le confinement. Quelques semaines après, le rendez-vous londonien Frieze London et Frieze Masters, précédant d’ordinaire la FIAC dans le calendrier artistique automnal, en faisait de même.
>> Lire aussi : “Ils s’aiment”, un siècle de photos d’hommes amoureux
Entre-temps, à Paris, une foire se glissait néanmoins dans l’interstice laissé béant, décalait sa temporalité habituelle du printemps à la mi-septembre et s’autoproclamait “première foire artistique post-confinement à s’être tenue dans le monde”. Mais à quel prix ? Si Art Paris fait la part belle aux exposant·es français·es, la spécificité de la FIAC est bien d’être “une foire résolument et indéniablement internationale par ses exposants et par ses visiteurs”.
Ainsi commençait la tribune publiée une poignée de jours après l’annulation par une quarantaine de galeristes et marchands d’art en soutien à la décision de marquer une année blanche, annonçant également vouloir profiter de la parenthèse pour réfléchir aux conditions d’exercice du métier face à “la question du local et de la réduction des déplacements aériens” – que les déçu·es de la FIAC n’abordaient pas.
Mi-mars déjà, lorsque nous l’interrogions sur les conséquences de la fermeture des lieux de culture, Florence Bonnefous, codirectrice avec Edouard Merino de la galerie Air de Paris et à l’initiative de la tribune, évoquait déjà l’envie d’imaginer des alternatives à “un marché planétaire construit et largement développé sans réfléchir aux effets retors” et laissait en suspens l’idée d’“une sorte de ZAD artistique au sens d’Alain Damasio : une Zone à désirer”.
“Hospitalités”, à chaque galerie son invitée
L’une de ses concrétisations sept mois après, ce sera donc Hospitalités, porté par les signataires de la tribune, qui, estime aujourd’hui Florence Bonnefous, “leur a permis de se sentir soudés”. Durant la troisième semaine d’octobre, habituellement celle de la FIAC, les galeries participantes inviteront chacune entre ses murs une galerie étrangère, laquelle y présentera une sélection de ses artistes – un stand, l’entrée payante de la foire en moins.
Installée au cœur du complexe artistique Komunuma à Romainville inauguré il y a un an tout juste, Air de Paris accueillera la galerie Lambda Lambda Lambda (Bruxelles/Pristina) – on retrouvera également, profitant de cet hébergement temporaire, Greene Naftali (New York) chez Chantal Crousel, Jaqueline Martins (São Paulo/Bruxelles) et Neue Alte Brücke (Francfort) chez gb Agency ou encore Barbara Wien (Berlin) et ProjecteSD (Barcelone) chez Jocelyn Wolff.
Et Florence Bonnefous de souligner : “Le recentrement sur l’échelle locale, je ne l’entends pas au sens de la scène d’une ville ou d’un pays. Je lui donne la dimension d’une réflexion sur les manières de travailler éthiquement depuis mon propre local, avec mes artistes internationaux au sein d’un paysage immense.”
>> Lire aussi : Pol Taburet, la future star de la peinture française
Depuis 2015, la FIAC, vénérable aïeule forte de ses quarante-six éditions en dur, a vu l’arrivée d’une petite sœur, Paris Internationale. Pas de lien de famille entre les deux, sinon un statut complémentaire pleinement assumé par la directrice de la première, Jennifer Flay, qui nous confiait déjà à ce sujet que la diversité “œuvrait à la consolidation de la place de Paris sur la carte artistique”.
Organisée la même semaine et née d’une initiative de cinq galeries, quatre parisiennes (Antoine Levi – récemment renommée Ciaccia Levi ; Sultana ; Crèvecoeur ; High Art) et une suisse (Gregor Staiger), Paris Internationale amenait à Paris une proposition nomade portée par des galeries elles aussi internationales, regroupant des galeries plus jeunes tout en incluant également des project spaces – c’est-à-dire à visée non commerciale. Après de nombreuses tergiversations et à l’issue d’un sondage également, la sixième édition de Paris Internationale aura bien lieu cette année.
Ici une supérette, là un hôtel en travaux
“Nous avons réfléchi à un format qui permettrait aux exposants d’avoir la possibilité de participer sans être physiquement présents, explique Clément Delépine, codirecteur avec Sylvia Ammon de Paris Internationale. Au moment où nous avons dû prendre la décision, il était projeté que 30 % des galeries allaient fermer. En conséquence, nous avons réduit les coûts de participation des galeries et décidé de faire évoluer le format vers une exposition. Ainsi, les galeristes qui n’ont pas souhaité ou pu se déplacer nous ont envoyé leurs œuvres et seront représentés sur place par l’équipe de la foire qui assurera la médiation.”
>> Lire aussi : Les chocs visuels de Darja Bajagic s’exposent à Poitiers
Sous le commissariat de Claire Le Restif, directrice du centre d’art Le Crédac à Ivry-sur-Seine, SuperSalon, c’est son nom, rassemblera une sélection d’œuvres de vingt-six galeries de quatorze pays et trois project spaces. “La scène que nous défendons est fragile, la plupart des artistes, précaires, et les conditions de production de l’art en 2020 vont de facto produire une cohérence symbolique”, estime Clément Delépine depuis le montage de la foire, tout en évoquant que l’espace choisi cette année, une supérette vide du IXe arrondissement de Paris, amorcera de fait une réflexion sur la marchandisation de l’art et les manières de substituer en contexte décéléré de nouvelles pratiques aux anciens réflexes.
Seront également maintenues Asia Now, dédiée à l’art contemporain du continent asiatique, Outsider Art Fair, coupant la poire en deux avec une édition virtuelle et une exposition à l’hôtel Drouot, ainsi que Galeristes, d’ancrage majoritairement hexagonal. A ce paysage foisonnant s’est adjointe l’an passé une nouvelle tête : Salon de Normandy. Un salon, pas une foire commerciale en tant que telle donc, mais une proposition temporaire rassemblant, à la même période, quinze espaces d’exposition, collectifs d’artistes, labels de musique et éditeur·trices non-profit.
“Nous montrons des structures fragiles qui ont été durement affectées et ressentons une responsabilité de représenter cette scène à Paris, indique Tuukka Laurila, fondateur de l’espace multidisciplinaire The Community à l’origine de Salon de Normandy. Nous avons décidé de fonder la foire alors que nous attendions d’emménager dans un nouvel espace. Nous voulions d’abord organiser une exposition pendant la semaine de la foire, mais nous avons décidé d’étendre l’invitation à d’autres acteurs émergents cultivant la même approche que nous.”
“Beaucoup de nos exposants sont européens et privilégieront de venir en train ou en bus”
Le lieu, un hôtel en travaux du 1er arrondissement de Paris, a été mis à leur disposition pour cette seconde édition également. “Le cadre de l’hôtel nous intéressait conceptuellement. C’est un non-lieu, entre public et privé, entre la sphère domestique et l’espace public également, précise Sini Rinne-Kanto, cofondatrice de The Community et curatrice de Salon de Normandy. Beaucoup de nos exposants sont européens et privilégieront de venir en train ou en bus. Une grande partie participait déjà à l’édition inaugurale, et ces relations à long terme nous importent énormément.”
Pour Tuukka Laurila également, le Salon reflète et amplifie la synergie d’un “réseau interconnecté de structures qui partagent des idées et des manières de travailler”. Quant à The Community, dont la première adresse rassembla trois années durant dans une ancienne boutique de coiffeur à Château d’Eau une jeune scène vibrante et polyglotte, l’ouverture de son nouveau “local” à Pantin est prévue pour janvier 2021.
Hospitalités jusqu’au 25 octobre, Paris et Grand Paris
SuperSalon du 22 au 29 octobre, Paris (12, rue de Montyon)
Paris Internationale jusqu’au 29 octobre en ligne
Asia Now jusqu’au 24 octobre, Paris (9, avenue Hoche)
Outsider Art Fair jusqu’au 30 octobre, Paris (hôtel Drouaut) et en ligne
Galeristes du 23 au 25 octobre, Paris (Carreau du Temple)
Salon de Normandy du 22 au 25 octobre, Paris (7, rue de l’Echelle)
{"type":"Banniere-Basse"}