Moins versé dans l’étrangeté que les précédents films de son auteur, le récit limpide et intense du combat d’un couple interracial dans l’Amérique des années 1960.
Le cinquième et superbe film de Jeff Nichols (auparavant auteur de Shotgun Stories, Take Shelter, Mud, Midnight Special) raconte une histoire véridique qui a laissé sa trace dans l’histoire des Etats-Unis : celle d’un couple interracial, les Loving (c’était leur vrai nom), qui, dans les années 1960, à travers un procès intenté contre l’Etat de Virginie où ils vivaient, participèrent au mouvement de conquête des droits civiques pour les Noirs américains.
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Jeff Nichols – dans un style purement classique qui agace encore certains spectateurs, on ne sait pas pourquoi tant le film regorge à chaque minute d’idées de mise en scène impressionnantes – part des faits. Richard Loving est blanc. Il est maçon, brut de pomme, droit, instinctif, obstiné (comme tous les personnages principaux de Nichols).
Nous sommes en 1958 dans un Etat ségrégationniste
Il a été élevé au milieu des Noirs, et quand il tombe amoureux de la jolie Mildred (avec ses grandes paupières rêveuses), il ne se pose pas de questions : il décide de l’épouser. Seulement, nous sommes en 1958 dans un Etat ségrégationniste où le mariage entre Blancs et Noirs est interdit par la loi. Alors Richard et Mildred vont se marier dans le district de Columbia avant de revenir en Virginie.
Mais tout se sait et l’Etat de Virginie les arrête, les juge et les condamne avec une clause suspensive : soit ils vont en prison, soit ils quittent l’Etat. Ils optent évidemment pour la deuxième solution. Heureusement, le vent de l’histoire, dans ces années-là, souffle dans leur sens. Alors, poussés par des militants démocrates et des avocats débutants et ambitieux, ils vont porter plainte, bon gré mal gré, soutenus par des progressistes, contre l’Etat de Virginie. Leur combat va durer neuf ans.
Loving est une sublime histoire d’amour. Jeff Nichols filme Richard et Mildred, mais aussi tous les autres personnages (dont les deux jeunes avocats qui vont s’engager à leur côté, qui n’y connaissent en réalité rien…) avec un respect infini. Joel Edgerton ne fait rien et il est à pleurer de dignité, de blessure intérieure tue. Ruth Negga, sans effets, incarne l’abnégation avec calme, et notre cœur bat quand on les regarde.
Nichols se place toujours à la hauteur de ses personnages
Ce qui est beau aussi, dans Loving, c’est que Nichols se place toujours à la hauteur de ses personnages. Richard Loving n’a aucune conscience politique. Ce que montre une magnifique scène (digne de celle de L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford où James Stewart, ignorant que Vera Miles est illettrée, l’humilie publiquement sans le vouloir), où les amis noirs de Richard, avec une certaine aigreur, sont obligés de lui expliquer ce qu’est la vie d’un Noir dans un pays raciste, ce dont il n’avait absolument pas idée. Lui n’est pas raciste parce qu’il a toujours vécu avec des Noirs. La seule chose qu’il veuille, c’est vivre heureux et tranquille avec Mildred, la protéger, fonder une famille avec elle – et non pas changer le monde.
Mildred voit évidemment les choses différemment, puisqu’elle est noire, et elle va brusquer les choses, mais sans jamais reprocher quoi que ce soit à Richard, qui a toujours pris soin d’elle et de leurs enfants. Un Richard qui, malgré son apparent refus de tout engagement politique, garde toute sa confiance en Mildred, et se défoule dans le jardin en faisant du sport avec son fils le jour où ils attendent tous le coup de téléphone qui doit décider de leur destin.
Et durant ces neuf années, Nichols n’oublie jamais de montrer que la vie continue, que les enfants grandissent, qu’ils font des bêtises. Richard continue à monter des murs. La peur est aussi toujours présente, et Nichols joue avec, parfois avec humour (la scène où une voiture déboule à toute berzingue dans la propriété).
L’admiration du cinéaste pour ses personnages
Et puis il y a cette scène avec Michael Shannon, l’acteur fétiche de Nichols, qui joue un rôle court mais génial dans le film. Celui du journaliste-photographe Grey Villet, qui va saisir le bonheur des Loving. La parution de ses photos dans le magazine Life fera beaucoup pour leur cause.
Cette séquence marque une pause dans le récit. Un temps suspendu entre des vagues juridiques, des peurs quotidiennes soudain oubliées, le temps de quelques rouleaux de pellicule – Nichols expose d’ailleurs dans le générique de fin l’une des vraies photos prises ce jour-là.
A ce moment-là, on ne peut s’empêcher de partager l’admiration et la considération du photographe pour ses sujets, égales sans doute à celles du cinéaste pour ses personnages, et peut-être aussi à sa foi dans les capacités consolatrices du cinéma. Durant cette scène, rien de grave ne peut arriver aux Loving. Et ce sentiment de fusion entre le cinéaste, ses acteurs, ses personnages et son public est bouleversant.
Loving de Jeff Nichols (E.-U., G.-B., 2017, 2 h 03)
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