Les plats messages émis par la voix virtuelle de son smartphone inspirent à Sylvie Fanchon des œuvres pleines de duplicité.
Cortana. à l’écrire, on imagine un prénom de femme ardente et conquérante. Une héroïne de film peut-être, mais alors d’un film de guerre ou peut-être un western. En réalité, le prénom ne laisse pas l’ombre d’un doute sur qui pourrait le porter. Car Cortana ne désigne plus qu’une seule femme. Omniprésente, elle les synthétise toutes. Cortana, c’est une voix, la voix : l’assistante personnelle des téléphones Microsoft.
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Comme Siri chez Apple ou Alexa chez Amazon, le logiciel n’est pas seulement aux ordres de son usager mais a également été programmé pour tenir une conversation ordinaire. Lorsque la peintre Sylvie Fanchon s’équipe d’un nouveau téléphone, le génie dans la machine ne tarde pas à se manifester : “Bonjour ! Je m’appelle Cortana, que puis-je faire pour vous aider ?”
Une peinture qui procède par extraction
De cette accroche naîtront une série de tableaux et de muraux ainsi que deux expositions : Je m’appelle Cortana au Frac Franche-Comté et QUEPUISJEFAIRE POURVOUSAIDER à l’Espace de l’Art concret au château de Mouans (dans les Alpes Maritines).
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 1980, Sylvie Fanchon y enseigne depuis 2001 au sein de l’atelier P2F (pour Piffaretti, Fanchon, Figarella, les trois professeurs ayant choisi d’unir leurs forces). Depuis ses premières expositions au début des années 1990, elle pratique une peinture qui procède par extraction, réduction et simplification. Ces axiomes, la nouvelle série réalisée à partir des phrases de Cortana les met également en œuvre.
Résultat : des tableaux ou des muraux construits selon un principe de bichromie (chair et brun, noir et blanc, bleu et orange) d’une absolue planéité, d’où émerge le lettrage traité tout en majuscules, sans espaces ni ponctuation, dans la police la plus neutre possible.
“Dites-nous ce que nous devrions savoir”, “Commençons la journée ensemble”, “Détrompez mes idées reçues”, déchiffre-t-on en plissant les yeux. C’est que la tâche n’est pas aisée, et la lecture entravée par des traînées de peinture, des personnages de cartoon ou un fond strié de bandes obliques.
Les messages de Cortana sont plats, archétypaux, vides
Obtenus en réserve, au pochoir pour les personnages peuplant les tableaux et par la pose de Scotch déchiré sur son bord pour les zébrures des muraux, ces accidents réintroduisent le corps dans la peinture et accentuent la duplicité des messages. La lecture de ces derniers exigeant la concentration du regardeur, l’intellect reprend alors le pas sur l’affect.
Lorsque se dissipe la caresse de la voix féminine programmée pour produire un effet jovial et apaisant, les messages éclatent dans leur double sens. Cette main tendue que propose Cortana est autant une proposition d’assistance qu’une incitation à livrer ses données ; et la formule de politesse le gant de velours qui enveloppe l’aiguillon de l’impératif.
“Je ne souhaite pas que le travail puisse être résolu par la compréhension du texte car la dimension plastique doit rester essentielle”, explique Sylvie Fanchon. Que produisent alors les aphorismes de Cortana dans le champ de la peinture, puisque c’est bien de la peinture dont il est question ? Ce qui confère à Cortana son inquiétante étrangeté est, en même temps, ce qui la démasque comme intelligence artificielle : son manque absolu de nuances.
Ses messages sont plats, archétypaux, vides. A ce titre, ils ont entièrement leur place dans le registre de Sylvie Fanchon qui a toujours représenté des motifs génériques : des typologies de moustaches (2013) ou de chevelures de femme pour la série des Figures (2017), des stries de Scotch pour les Tableaux Scotch initiés en 2014, des silhouettes de cartoons pour la série des Caractères (2010). Aucun de ces tableaux n’est à proprement parler figuratif ou abstrait puisqu’ils ne représentent aucun objet qui existerait dans le réel.
De même, les automatismes de Cortana ne sont que l’image d’une conversation normale, voire sa représentation abstraite. Lorsqu’on l’écoute d’une oreille distraite, on se laisserait facilement berner ; lorsqu’on aperçoit au loin la découpe d’une silhouette humaine également. En s’approchant cependant, l’un et l’autre apparaissent pour ce qu’ils sont : une esquisse plate, de la 2D auditive autant qu’optique.
Le statut ambigu du texte-image est prolongé par une sélection d’œuvres de la collection du Frac Champagne-Ardenne et du Frac Bourgogne – dont celles produites par Alain Séchas, Richard Baquié, John Giorno, Jenny Holzer ou encore Angela Bulloch. Loin de la prise de position du texte de l’art conceptuel, les œuvres en question l’utilisent sur le principe de la dérision. Celui-ci n’y active plus d’autre mécanique que le rire – avec le second degré, l’ultime spécificité de l’humain.
Je m’appelle Cortana Jusqu’au 13 janvier 2019, Frac Franche-Comté, Besançon
QUEPUISJEFAIREPOURVOUSAIDER Jusqu’au 28 avril 2019, Espace de l’Art concret, Mouans-Sartoux
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