Une romancière en panne d’inspiration se cherche entre un père encombrant et un mari absent. Une comédie douce-amère et une histoire de fantômes.
Le mérite de certains films est de nous faire rêver à un autre, auquel eux-mêmes rêvent aussi, mais que, pour une raison ou une autre, ils ne résolvent pas tout à fait à être. Ainsi va On the Rocks, la nouvelle mélancomédie de Sofia Coppola autour du motif père/fille (paternité symbolique dans Lost in Translation en 2003, réelle mais évanescente dans Somewhere en 2010).
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Le film annoncé, c’est classiquement l’histoire d’un transfert : l’héroïne, une romancière new-yorkaise au début de la quarantaine, fait un dernier tour de manège aux côtés d’un père égocentrique et fantasque avant de trancher les dernières attaches inhibantes avec cette figure encombrante – au profit d’un mari, qu’on aura le loisir de trouver pourtant tout aussi égocentrique. Un bracelet de montre boucle, de façon appuyée et sèche, ce trajet d’un homme à un autre, du père volage mais désormais présent au mari fidèle mais trop souvent absent.
Le film rêvé est plus labile, indécidable. Il affleure souvent sans jamais s’actualiser tout à fait. Il hante le film annoncé, sans jamais complètement s’y substituer. Comme un fantôme du film. Qui parlerait justement de son personnage masculin central comme d’un fantôme.
Pourquoi les scènes où l’héroïne retrouve son père se déroulent-elles dans un espace séparé de son quotidien ? Pourquoi ce père encombrant ne croise-t-il quasiment pas les autres personnages du film (tout au plus une scène furtive avec le mari en bas de l’immeuble – mais sans l’héroïne – et une scène avec les deux gamines) ? Pourquoi tout ce qui est vécu aux côtés de ce père paraît-il aussi irréel, comme cet épisode à la fois onirique et farfelu où le flic qui arrête Bill Murray pour excès de vitesse est le fils d’un ami de longue date, dont il maîtrise toute la story familiale et qu’il met immédiatement dans sa poche.
Comme le génie de la lampe
Germe alors une idée : et si ce père magicien qui n’apparaît que pour elle n’existait tout simplement pas ? On pourrait imaginer une version M. Night Shyamalan d’On the Rocks, dont les cinq dernières minutes nous diraient dans un twist que ce père fantasmatique est mort depuis longtemps. On sait que cela ne se produira pas, que ce possible ne sera jamais formulé, mais il s’immisce tout au long du récit et le nimbe d’une étrangeté un peu spectrale.
Au début du film, l’héroïne, qui est écrivaine, affronte une panne d’inspiration. Sa petite routine créative est en crise. Quelque chose s’est asséché. Ce père porteur d’aventures rocambolesques, qui l’entraîne avec lui dans des filatures de thriller et surgit comme le génie de la lampe d’Aladin, s’engouffre simplement dans le vide fictionnel qu’affronte l’héroïne. Il répond à son appel.
Moins une personne qu’un mythe. Moins une présence qu’un ami imaginaire
Pour Sofia Coppola, un désir d’histoire se double toujours d’une histoire de père. Mais jamais elle n’avait filmé le père comme simplement une histoire. Moins une personne qu’un mythe. Moins une présence qu’un ami imaginaire. Dont il est urgent d’accepter qu’il n’existe pas. Pourtant, le réel ensuite, déserté de sa présence, dans un équilibre conjugal supposément retrouvé, a un goût bien acre.
On the Rocks de Sofia Coppola, avec Bill Murray, Rashida Jones
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