C’est la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois qui est aux manettes de cette soirée exceptionnelle, « La Veillée de l’humanité », réunissant artistes chorégraphes, comédiens et paroles de poètes pour commémorer une Déclaration des droits de l’homme tellement mise à mal en tant d’endroits du globe. Interview.
Comment a démarré ce projet, La Veillée de l’humanité ?
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Anne-Laure Liégeois – La Déclaration des droits de l’homme a été signée le 10 décembre 1948 dans la Salle Jean Vilar du théâtre de Chaillot et Didier Deschamps a voulu, pour les 70 ans de cette date, honorer cet événement qui a eu lieu ici. C’est assez émouvant pour moi, d’abord, d’être dans la salle où a travaillé Jean Vilar et aussi de travailler sur cette Déclaration qui défend des droits qu’on aimerait voir plus observés. Surtout quand on sait qu’elle a été signée par 193 pays sur les 197 qui sont sur la planète Terre et qu’elle n’est respectée par aucun d’eux.
Quelle forme va prendre cette soirée ?
Didier Deschamps, directeur du théâtre de Chaillot, a voulu réunir des chorégraphes qu’il aime et dont il trouve que l’œuvre peut défendre des valeurs inscrites dans la Déclaration. Il avait vu le feuilleton théâtral On aura tout que j’ai réalisé au festival d’Avignon 2017 avec Christiane Taubira et il m’a demandé de mettre en scène cette Veillée de l’humanité pour relier l’écriture, qui existe aussi dans ce théâtre, au geste. Je pense aussi qu’il a été sensible à l’engagement qu’il avait pu lire dans le travail que j’avais fait à Avignon comme par ma capacité à gérer beaucoup de personnes. Pour cette Veillée, il y aura plus de deux cents interprètes avec des personnalités fortes sur le plateau. J’ai commencé à travailler en juillet en rencontrant certains chorégraphes.
Le choix des chorégraphes vient-il de Didier Deschamps ?
Oui. Il m’a proposé des chorégraphes et aussi des performeurs comme Phia Ménard, François Chaignaud, Kubra Khademi. Pour les textes, il m’a laissé le champ libre. En fonction de ce que proposaient les chorégraphes, d’une part, et de ce que j’avais envie d’entendre comme textes d’autre part, sachant qu’on ne peut pas tout dire, je devais surtout éviter d’alterner textes et chorégraphies pour partir du sens que revêt la soirée. On va commencer par ce qui est important pour les artistes : la liberté d’expression. Je pars de là pour aller vers son impossibilité, la prison, le droit d’asile, le fait de quitter son pays, l’exil, et puis enfin l’égalité : entre les peuples, entre les sexes. Ce n’est surtout pas une soirée didactique. Mon travail consiste à trouver le mouvement d’ensemble pour que les chorégraphies s’insèrent avec les textes que j’ai choisis : ceux de la Déclaration de 48, mélangés avec celle des droits de l’homme et des citoyens de 89 et des textes de poètes. Mahmoud Darwich, Jean-Luc Lagarce… Et il y a aussi des gens emprisonnés en ce moment : Oleg Sentsov, Kirill Serebrennikov. Il y a beaucoup de textes du XXIe siècle, quelques-uns du XXe et un du XIXe siècle. Ce qui est terrible, c’est de réaliser que beaucoup de ces auteurs contemporains sont morts et qu’ils ne devraient pas l’être.
Y a-t-il des auteurs que tu as découverts en préparant cette Veillée ?
Oui. Liu Xiaobo, un poète chinois (prix Nobel de la paix) qui a écrit les Elégies du 4 juin, rédigées tous les ans le 4 juin après Tiananmen. Il est mort en prison en 2017 par manque de soin. Cela a été mon plus gros choc. Alors que je fréquente beaucoup la littérature arabe, je connais moins la culture asiatique. Aujourd’hui, il y a 60 journalistes chinois en prison. On entendra aussi des textes d’Ashraf Fayad, emprisonné en Arabie Saoudite, condamnée à 800 coups de fouet. J’ai cherché des textes de poètes yézidis ou érythréens, mais je n’ai rien trouvé. Il y a des endroits du monde où la place de la création est à ce point interdite qu’elle ne peut même pas s’échapper quand elle parvient à exister en cachette. On n’en trouve aucune trace et c’est ça aussi que j’ai voulu faire entendre. Quand Aram Karabet parle des treize ans qu’il a passés dans une prison syrienne, des tortures qu’il a subies, même si c’est dur à entendre, on en a besoin. C’est un soir de manifestation, de recueillement actif. Et puisqu’il s’agit de commémorer un texte interdisant l’usage de la torture, alors c’est important d’entendre qu’en Syrie, aujourd’hui, on fouette les pieds des hommes jusqu’à ce qu’ils soient en sang, qu’ils sont enfermés dans des pneus et sentent leur poitrine exploser. Il y a cette Déclaration et il y a ce qu’on vit.
C’est donc aussi une soirée de résistance à l’état du monde ?
Il ne s’agit pas de militer, même si tout acte, tout mot est militant, mais cette soirée est faite pour entendre la parole des poètes et regarder les gestes des chorégraphes. Ce que va proposer Lia Rodrigues, extrait de Ce dont nous sommes faits, est un mouvement dansé très fort pour évoquer la lutte par rapport à ce qui se passe aujourd’hui au Brésil et la façon dont cette Déclaration résonne en elle.
Les chorégraphes ont aussi choisi à l’intérieur de leurs spectacles, qu’ils n’ont pas tous forcément créé pour cette soirée, des moments de lutte ou qu’ils interprètent ainsi et qui peuvent se détacher de la chorégraphie d’ensemble pour s’inscrire dans cette Veillée. Par exemple, l’extrait que propose Angelin Preljocajoù un danseur entoure de scotch un autre danseur a énormément de force sur la liberté d’expression.
Comment donner forme à toute cette diversité, textuelle et gestuelle ?
Ce qui est beau, c’est le nombre. On est plus de deux cents sur le plateau. Il y a dix chorégraphies et quatorze performances qui durent de 4 à 10 minutes et des textes lus en une à quatre minutes. Mais c’est un tout pour moi. Ce n’est pas un Reader’s Digest ! C’est à chaque fois une signature de la Déclaration.
Mon rôle, c’est d’en faire de la » musique « , de faire avancer la soirée. C’est une chance incroyable pour moi d’en avoir rencontré certains, comme Dominique Mercy qui propose une séquence de Nur Du, qu’il a fait avec Pina Bausch.
C’est bel et bien un leitmotiv de la danse contemporaine que d’inscrire dans le corps sa résistance à un état du monde.
Oui et c’est la force du mot aussi. Il y a des êtres humains qui vivent des choses terribles et arrivent encore à parler, à écrire. Je repense à Liu Xaobo qui parle de 10 000 morts à Tiananmen, d’hommes qui ont été réduits en charpie, écrasés par les chars. Comme un chorégraphe arrive à trouver le geste, il arrive à trouver les mots, l’agencement des mots qui disent tout.
Y a-t-il des chorégraphes qui créent spécialement une forme pour cette soirée ?
Oui, Phia Ménard, François Chaignaud, Marcia Barcello et Carolyn Carlson. La règle du jeu, c’est qu’ils font tous exactement ce qu’ils veulent.
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Combien d’acteurs participent à la Veillée ?
Il y a trois comédiens de la compagnie : Olivier Dutilloy, Paul Pascot et Nelson Rafael Nadel qui étaient sur l’aventure de On aura tout. Il y a aussi neuf jeunes comédiens qui sont sortis récemment d’écoles de théâtre et puis, il y a 14 comédiens que j’avais rassemblés à l’Institut du Monde Arabe pour la manifestation dédiée à Mahmoud Darwich qui sont tout très jeunes et vont bientôt passer les concours pour entrer dans les écoles de théâtre, accompagnés d’amateurs plus âgés.
Propos recueillis par Fabienne Arvers
La Veillée de l’humanité, le 10 décembre au théâtre de Chaillot.
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