La mini-série Netflix, sortie mi-septembre et acclamée par la critique, raconte l’histoire d’une jeune femme accusée par la police d’avoir inventé son viol. Juste et percutant, “Unbelievable” pointe du doigt un système où les souffrances des victimes de viol sont minimisées. Décryptage avec la docteure Muriel Salmona, psychotraumatologue.
Dans Unbelievable, deux histoires s’entrecroisent : celle de Marie, une jeune femme violée et torturée, qui vit un nouvel enfer en étant accusée d’avoir inventé son viol, et celle de Karen Duvall et Grace Rasmussen, deux inspectrices déterminées à trouver un violeur en série insaisissable et méthodique qui s’attaque à des femmes isolées.
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L’ouverture de cette série brillante est une plongée terrible dans l’après du viol. Âpre et lent, le premier épisode suit Marie et son calvaire face aux policiers qui vont peu à peu mettre en doute son témoignage pour rapidement statuer que la jeune femme a menti pour « attirer l’attention sur elle ».
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Pour la docteure Muriel Salmona, psychotraumatologue et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, Unbelievable est “malheureusement très juste”. La mini-série montre de façon exemplaire la réalité des victimes, dont les souffrances sont minimisées, ce qui a de graves conséquences. Décryptage.
[Attention, cet article contient quelques spoilers, principalement du premier épisode de la série]
Pendant la scène de viol, on voit Marie se concentrer sur une photo accrochée au mur, un souvenir joyeux. Au fur et à mesure qu’elle doit à nouveau raconter ce qui lui est arrivé, l’image refait surface. Quel est ce phénomène ?
C’est un mécanisme de défense typique du trauma. Il y a une focalisation sur un détail qui est hors de la situation de violence subie. Dans le trauma, il y a une dissociation par le cerveau qui crée un mécanisme de sauvegarde, ensuite il y a un processus de dissociation qui peut être généré par la victime elle-même pour échapper à l’intolérable.
Ce qu’il se passe, c’est que dans le cadre d’un premier trauma, c’est le cerveau qui organise la dissociation, ensuite les victimes apprennent à utiliser la dissociation pour survivre. Le personnage de Marie est typique de ça : elle a déjà subi de nombreuses maltraitances et elle a des mécanismes de dissociations à sa portée.
Ces mécanismes se font avec des sécrétions équivalentes à de la kétamine et de la morphine. Il y a un phénomène d’accoutumance, ce qui fait que plus vous subissez de violences, plus c’est difficile de vous dissocier au moment de ces violences, il faut rajouter des éléments pour y arriver. C’est pour ça que les victimes ont recours à de l’alcool, de la drogue ou des mécanismes de dissociation psychique, elles s’autohypnotisent.
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On voit plus tard que ce phénomène de dissociation n’est pas du tout perçu par l’entourage de Marie, qui s’étonne de ces réactions…
Les mécanismes psychotraumatiques sont des mécanismes universels, normaux, que toutes les victimes présentent, qu’elles soient des victimes d’attentat ou des victimes de viol. Comme ils ne sont jamais reconnus comme tels, ils vont être reprochés aux victimes. On va même considérer que ces mécanismes, qui sont des preuves du trauma, sont des éléments qui décrédibilisent sa parole.
Les mères d’adoption de Marie vont trouver qu’elle a l’air détaché, un peu déconnecté, ce qui est un élément qui montre un état de choc. Plus les victimes ont été traumatisées, plus elles sont détachées, elles peuvent sourire, rire. C’est un indice de gravité.
Cette dissociation entraîne aussi une anesthésie émotionnelle chez la victime. On fonctionne avec des neurones miroirs qui nous permettent de ressentir les émotions d’autrui quand quelqu’un est triste, effondré. Quand une personne est en stress dépassé, car elle est traumatisée par des violences extrêmes, elle va être anesthésiée émotionnellement, et en face, on ne va pas ressentir d’empathie. C’est ce qui conduit à être maltraitant.
C’est ce que l’on voit avec les inspecteurs chargés de l’enquête, qui l’intimident, remettent en doute tout ce qu’elle dit.
Les deux inspecteurs sont sexistes, ils adhèrent totalement à la culture du viol. Ils regardent Marie avec mépris, ils exercent une domination avec une absence totale de bienveillance. Il y a une indifférence à sa souffrance. On sait qu’il ne faut jamais faire répéter les faits à une victime, c’est d’ailleurs pour ça qu’on essaie au maximum, notamment pour les mineurs, de filmer. C’est une torture pour Marie, elle a des flashs, elle revit l’horreur. C’est très grave, c’est comme manipuler une personne qui a de multiples fractures.
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Faire répéter une victime pour essayer de faire remonter de nouveaux éléments qui pourraient faire avancer l’enquête, c’est donc complètement inutile, mais aussi dangereux ?
Plus vous stressez la victime, plus vous la torturez, plus des troubles de la mémoire au niveau spatio-temporel vont se créer, et ce qu’elle va dire va être pauvre. Au final, on peut obtenir qu’elle dise que rien ne lui est arrivé. Le trauma génère une sensation d’irréalité. Plus les choses sont horribles, plus on risque d’avoir une dissociation qui entraîne une amnésie dissociative. Tout est flou et devient inaccessible.
C’est le cerveau qui génère ça pour ne pas que les personnes meurent de stress. Ce mécanisme de survie n’est pas fait pour durer longtemps, aussitôt que la victime est protégée et hors de danger, ça disparaît. Mais si la victime continue à être exposée, le mécanisme s’aggrave et le phénomène s’installe et va aggraver les traumas.
Ce mythe de la « bonne victime », finalement, il ne correspond à rien, il n’est fondé que sur des idées reçues.
Ce que je vois avec mes patientes c’est qu’il y a dans un premier temps une bienveillance possible des policiers. La personne est perçue comme « bonne victime » mais rapidement ils partent à la recherche de détails, ils vont tiquer sur des choses qui sont parfaitement normales et les « bonnes victimes » vont devenir de « mauvaises victimes ».
Parmi les plaintes pour viols, qui sont déjà peu importantes, 74 % d’entre elles sont classées sans suite. On vit donc avec des violeurs autour de soi qui ne seront jamais inquiétés. La série est très juste là-dessus. Mais l’immense majorité des viols sont commis par des personnes connues de la victime, et pour les mineurs, ça vient même de la famille.
Justement, la série entretient un peu cette idée de l’inconnu tapi dans l’ombre, qui n’est qu’une petite part des cas de viols.
Une histoire vraie de violeur en série va plus marquer les gens. Le problème central, le fait que les viols sont majoritairement commis par des proches, n’apparaît que très peu, c’est effectivement dommage. L’inconnu dans un parking, c’est 10 % des cas, à tout casser. Et l’inconnu, c’est quand même quelqu’un qui a traqué ses victimes, qui les connaît très bien. Pour la victime, l’autre est un inconnu, mais pas pour l’agresseur. Ça, c’est bien montré dans la série.
J’ai trouvé dommage que la série ne mette pas plus le focus sur la prise en charge psychotraumatologique. Le viol est le trauma le plus grave qui soit et qui a le plus de conséquences à long terme. C’est pour ça que c’est une arme de guerre. Les conséquences sont graves. Dans le cadre de la prise en charge, on ne peut pas dire aux victimes “rentrez chez vous et revenez quand vous en avez besoin”.
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Marie incarne-t-elle ce que vous observez chez les victimes de violences sexuelles ?
Marie est très bien décrite. On voit tout ce qu’elle traverse, tous les troubles émotionnels qu’elle peut présenter ensuite. Surtout, et c’est un élément habituel, on voit la solitude dans laquelle elle va se retrouver alors qu’il y a un besoin absolu de soutien. Les victimes ont besoin d’être entourées. C’est une réalité et c’est bien montré dans la série. Toutes mes patientes le vivent, il est très rare de garder des soutiens dans la durée.
Les gens se lassent, voudraient qu’elles passent à autre chose. Non seulement les victimes ont subi l’horreur, mais on les culpabilise pour tout ce qu’elles font. C’est la même chose quand on dit qu’une victime aurait dû se défendre, ou au contraire si on lui reproche de s’être défendue. Cela lui renvoie qu’elle est responsable de son agression. C’est inhumain de faire porter à la victime le poids de son propre malheur, non seulement par rapport à la violence subie, mais aussi par rapport aux conséquences : “C’est de ta faute si tu ne dors pas, si tu n’arrives pas à travailler, si tu bois, si tu te drogues, si tu fais des crises d’angoisse, si tu sors trop, si tu ne sors pas assez… ” Les victimes ont toujours tort.
Propos recueillis par Maëlle Le Corre
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