Entre vaudeville cruel et chansons pop en live, Christophe Honoré exalte les talents de la troupe de la Comédie Française pour dérégler avec humour et poésie le tempo de la saga proustienne.
Le Côté de Guermantes tient une place centrale dans la Recherche en situant le narrateur à un point de bascule où le temps des émois amoureux rime avec celui des illusions perdues. Le jeune Marcel habite une dépendance de l’hôtel de Guermantes et se retrouve au plus près de la Duchesse qui le fait tant rêver. Christophe Honoré et son scénographe Alban Ho Van cadrent le vaste vestibule de l’hôtel particulier. Le déménagement de la Comédie française au théâtre Marigny permet l’invention d’une porte cochère ouvrant en fond de décor sur la perspective d’une fontaine et l’ambiance nocturne des jardins des Champs-Elysées. Réunissant la vie du dehors et la fiction du dedans, Christophe Honoré conjugue le temps proustien au présent en miroir de la cruauté du monde qu’il nous révèle.
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L’érotique promesse de cette aventure visant à explorer la terra incognita du désir va se cogner sans cesse le nez à la vulgarité et à l’antisémitisme endémique d’une aristocratie qui constitue l’écosystème naturel de la Duchesse. L’Affaire Dreyfus attise tous les sarcasmes de cette meute de nantis. La proposition d’inscrire le spectacle dans un espace de service permet de traquer l’obscénité de ces snobs qui ne font alors que passer pour mieux les épingler entre deux portes, par le rire, à la manière d’un vaudeville. Sous la direction de Christophe Honoré, la troupe excelle dans l’exercice de style de rendre drôle ce qui devrait révolter. Chaque scène dessinée avec humour par une plume délicatement trempée dans l’acide est l’occasion de caricatures résolument jouissives ou d’un portrait de groupe pour renouer avec la méchanceté clownesque d’une farandole chipée à Pina Bausch.
Une dédicace pudique
La proposition de Christophe Honoré se double d’un versant intime nous renvoyant à sa découverte du texte à l’époque de sa jeunesse. Il suffit alors d’un ampli et d’une guitare électrique pour matérialiser les contours d’une capsule temporelle où la musique permet aux acteurs de s’évader de l’ironie cinglante qui habite le plateau pour évoquer la nostalgie des rêveries qu’autorise l’écriture proustienne. S’ouvrant sur My Lady d’Arbanville de Cat Stevens et passant de Ton style de Léo Ferré à La Maritza de Sylvie Vartan pour finir par Night in White Satin des Moody Blues, la mélancolie sensuelle de ce showcase renvoyant aux années pop a valeur d’une dédicace pudique pour exprimer un amour demeurant aussi secret qu’inconditionnel à l’adresse de l’œuvre de Marcel Proust.
Le Côté de Germantes d’après Marcel Proust, adaptation et mise en scène Christophe Honoré. Avec Claude Mathieu, Anne Kessler, Éric Génovèse, Florence Viala, Elsa Lepoivre Julie Sicard, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Gilles David, Stéphane Varupenne…. Jusqu’au 15 novembre, Comédie Française hors les murs au Théâtre Marigny Paris 8e.
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