Huit films d’Akira Kurosawa font l’objet d’une rétrospective en salle. Deux d’entre eux, Le plus dignement et Un merveilleux dimanche, sont inédits en France. Réalisés à trois ans d’intervalle, en 1944 et 1947, ils portent les stigmates de l’histoire.
Sur les huit films de Kurosawa réédités et restaurés par Carlotta, deux sont inédits en salle en France : Le plus dignement et Un merveilleux dimanche. On se rue donc sur eux en priorité. Le premier a été réalisé en 1944, le deuxième en 1947. A leur vision dans l’ordre chronologique, on mesure le grand écart de Kurosawa, qui n’est pas moindre que celui que son pays a pratiqué.
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Tourné à l’époque où le Japon, sur le point d’être défait, redouble de bellicisme, Le plus dignement exalte le patriotisme de jeunes ouvrières travaillant dans une usine de lentilles optiques destinées à équiper les viseurs des bombardiers. D’entrée, un slogan s’inscrit : “Frappons l’ennemi et détruisons-le !” On ne saurait être plus explicite et les séquences vont se multiplier qui cadrent la brigade des vaillantes ouvrières partant au travail en entonnant un chant patriotique. Abnégation personnelle et sacrifice collectif, au service de l’Empire.
On pourrait arguer que Kurosawa ne pouvait pas faire autrement s’il voulait tourner ; on pourrait aussi suggérer, moins spécieux, qu’il aurait pu s’abstenir. Mais malgré cette épouvante, le récit résiste dès lors qu’il abandonne le tableau édifiant pour se concentrer sur quelques portraits de femmes : Watanabe, chef de section ; Mizushima, patronne du foyer où vivent les ouvrières ; ou l’adolescente Yamaochi, égarée par une mauvaise fièvre. Des figures héroïques mais comme rongées en sourdine par une mélancolie qui est aussi celle du film.
Aveugle clairvoyant
Lorsque Kurosawa déserte la propagande, il suggère un arrière-monde nettement moins va-t-en-guerre. A la volée de ce quasi-documentaire, on note que des enfants sont réquisitionnés en masse dans les usines d’armement, que le gynécée militarisé a tout d’un camp de détention et que la tendresse particulière de Watanabe pour la ravissante Yamaochi excède son rôle de “grande sœur”. Le suspense du film tient à une affaire d’optique défectueuse. Osons l’hypothèse optimiste d’un Kurosawa en aveugle clairvoyant.
Trois ans plus tard, le réalisateur ouvre les yeux et change de décor. Un merveilleux dimanche se déroule dans un Tokyo en ruine où évoluent Yuzo et Masako, jeune couple interdit d’amour par les difficultés du temps : logement précaire, marché noir, dèche totale. Le titre est un faux ami. Leur balade dominicale, loin d’être merveilleuse (il fait froid, il pleut), est une marche funèbre où la misère du tout-venant jure avec l’arrogance des parvenus.
La “merveille” arrive
Le terrain est très vague et même miné quand Yuzo et Masako croisent un jeune vagabond crasseux à qui ils font l’aumône d’une boulette de riz. “Ne jouez pas aux riches”, dit le gamin lucide. Et le cynique Yuzo de renchérir : “Quand on est honnête, on reste pauvre.”
Cependant, malgré le blues, la “merveille” arrive. Au soir de la promenade, dans un amphithéâtre désert où Masako est la seule spectatrice, Yuzo dirige un orchestre invisible. La bande-son diffuse La Symphonie inachevée de Schubert qui, sous l’œil magique de Kurosawa, devient une symphonie pour vent et feuilles mortes. La gentille Masako avait donc raison : “Sans les rêves, on étoufferait.”
Rétrospective Kurosawa Le plus dignement, L’Ange ivre, Un merveilleux dimanche, Chien enragé, Vivre, La Forteresse cachée, Sanjuro, Barberousse
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