Légende de l’underground new-yorkais depuis les années cinquante, John Giorno avait redonné à la poésie contemporaine sa place dans la culture populaire. Il est mort le 11 octobre, à 82 ans.
C’est l’un des plus grands poètes contemporains qui vient de s’éteindre, vendredi 11 octobre, à New York. Un jeune homme de 82 ans. L’expression peut paraître facile, presque une formule de politesse, mais elle trouve sa pertinence, comme tout cliché, quand il trouve le bon exemple pour l’illustrer. En l’occurrence ce type hors du commun, d’une sagacité et d’une vivacité sidérantes, débordant de gentillesse et d’amour mais n’ayant rien perdu de son mordant.
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Les biographies d’artistes, surtout quand il s’agit d’une vie aussi riche que celle-ci, tendent à se focaliser sur certains éléments répétés à longueur de journaux, au détriment d’autres, plus importants pour comprendre la genèse d’une œuvre. Alors certes, il faut rappeler que Giorno est cet homme qu’Andy Warhol, ami, amant et acolyte des débuts, filme passionnément en gros plan, nu, en train de dormir, pendant cinq heures, dans son premier film, Sleep (1963).
Il faut se souvenir qu’il fut le compagnon de route de toute l’avant-garde américaine de l’époque : les peintres Robert Rauschenberg et Jasper Johns, le chorégraphe Merce Cunningham, le cinéaste Jonas Mekas, etc. Tous ces amis qui se retrouvèrent à vivre, créer, festoyer, délirer, méditer ou se droguer dans l’un des lofts possédés par le poète, au 222 Bowery de Manhattan, qui fut aussi le « bunker » de Burroughs.
Mais c’est surtout l’emploi audacieux et novateur des mots qu’il fit, sa connaissance des limites, dangers et apories de l’écrit, son parti pris pour la diction, la spontanéité et la performance comme art en tant que tel, qui fit de lui un écrivain et un artiste majeur. Respecté par tous les auteurs de la Beat Generation, William Burroughs, Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Brion Gysin ; admiré par les deux, voire les trois qui suivirent, aux Etats-Unis comme ailleurs. Citons pour la France, outre son éternel ami Bernard Heidsieck, nos poètes contemporains les plus intéressants, Anne-James Chaton, Christophe Fiat, Frank Smith. Tous se revendiquent, d’une façon ou d’une autre, enfants de Giorno.
L’un des inventeurs de la poésie sonore
Interviewé par le magazine du Palais de Tokyo à l’occasion de l’exposition majeure, organisée par le plasticien Ugo Rondinone, qui lui y était consacrée en 2015, Giorno déclarait : “J’ai toujours considéré le poème comme une image qui doit se transmettre au plus grand nombre (…) Au début des années 1960, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreux artistes, Warhol, Rauschenberg, John Cage, etc., qui eurent une influence majeure sur mon travail. Je me suis alors rendu compte que la poésie avait soixante-quinze ans de retard derrière la peinture, la
sculpture, la danse et la musique. Si ces artistes y arrivaient, pourquoi pas moi avec la poésie ?”
Pour ce faire, il s’intéressa à tous les moyens de diffusion et aux nouveaux médias de son époque. Et devint l’un des inventeurs de la poésie sonore, mixant art et technologie comme William Burroughs, utilisant des sons impurs (son poème Subway, enregistré dans le métro new-yorkais avec Brion Gysin), reproduisant les loops – ces boucles sur magnétophones – de la musique électronique balbutiante que développaient au milieu des sixties Max Neuhaus et Steve Reich.
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A la suite d’une conversation téléphonique, ennuyeuse selon ses dires, il inventera aussi son fameux projet Dial-A-Poem : la possibilité, en appelant un numéro, d’entendre un poème à chaque fois spécifique dit par Ginsberg, John Cage ou tant d’autres. Des milliers de poèmes et des millions de personnes ont pris part à l’expérience, toujours en cours aujourd’hui (il suffit de composer le 212-628-0400). Constamment en phase, et souvent même en avance sur son temps, John Giorno n’a jamais cessé d’innover. Il comprit avant tout le monde les possibilités inouïes d’Internet, utilisant notamment le hashtag comme moyen de diffusion poétique.
S’il s’était, ces dernières années, concentré sur une œuvre plastique de plus en plus féconde, la poésie dite, performée, restait essentielle dans son travail. En 2015, il déclarait au quotidien suisse Le Temps : “Quand j’ai commencé à dire mes poèmes, je ne savais pas encore à quel point c’était important pour moi. Maintenant, je le sais. Vous écrivez avec des mots, vous travaillez avec votre savoir-faire. Puis, le poème s’en va vers une revue, un livre, est c’est terminé. Dire un poème, c’est en faire quelque chose d’autre. On retrouve une tradition ancestrale du dire. Et puis, surtout, il faut répéter, répéter vraiment. On dit que Michael Jackson répétait à mort, et que c’est pour ça qu’il était génial. Eh bien, même si c’est un cliché, c’est vrai.”
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