Fou, érudit, perturbant, le second roman d’Adam Levin, auteur culte depuis “Les Instructions”, est une anthologie d’excentricités à l’humour féroce.
Adam Levin fait partie de ces écrivains totalement anachroniques qui font encore croire en la littérature, en ce qu’elle a de singulier, d’irréductible à l’heure de Twitter, Instagram et Netflix.
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Anachronique, non pas que son style ni les sujets qui l’intéressent ne soient révolus ou désuets, bien au contraire. Mais sa façon de publier, tous les dix ans, des pavés de mille pages, débridés à souhait, du moins en apparence, au sujet d’un héros immature, dingue, névrosé mais brillant, force le respect et suscite l’espoir pour l’avenir du roman.
Les mésaventures sur 1 052 pages d’un adolescent mal dans sa peau, à la Salinger
Oui, c’est encore possible, même aux Etats-Unis, de publier quelque chose comme Les Instructions, roman pour ados théologique et savant, épopée furieuse d’un Juif défendant les nazis au nom de la liberté d’expression, et de devenir un auteur culte avec ce premier roman, adoubé par Dave Eggers, comparé à David Foster Wallace ou, plus justement, à Philip Roth.
Et c’est possible, huit ans après, de revenir avec un livre encore plus étrange pour le sortir en avant-première mondiale (allez savoir pourquoi) en France, aux excellentes éditions Inculte.
Destin d’un antihéros
Voici donc Bubblegum, 1 052 pages, les mésaventures d’un adolescent mal dans sa peau, à la Salinger, qui deviendra au fil des ans un excentrique odieux, horripilant mais drôle, plus intelligent que ses semblables, un personnage extraordinaire très proche du Ignatius de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.
Belt Magnet, tel qu’il se nomme, auteur d’un seul roman, décide à 38 ans d’écrire ses mémoires. Schizophrène, antisocial, il est persuadé de posséder un don inouï, une capacité à communiquer avec les objets, les « inans”, comme il les appelle. Pour le soigner, hormis l’hôpital psychiatrique, on lui a offert le prototype d’un robot, moitié métal, moitié animal, des “Curios” si mignons que leurs maîtres sont pris d’une envie irrésistible de les dévorer.
Lors d’une scène d’anthologie, notre antihéros devient le gamin le plus cool de son collège lorsqu’il entreprend ce qu’il appelle un “assassinat de balançoires”. L’objet est frappé, détruit à la batte de base-ball. Acte punk sublime, l’événement provoque chez les jeunes ados réunis autour de lui un état de transe, comme un premier orgasme pur, spontané, collectif. Une fille en admiration explique : “Elle me déprimait cette balançoire. Maintenant, on dirait une sorte de sculpture. Comme si elle s’était mise à genoux avant de mourir. Elle a compris. Qu’elle est inutile. Maintenant on pourra la jeter à la décharge sans se sentir mal.”
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Impossible de résumer en quelques mots les circonvolutions insensées, époustouflantes dans lesquelles la suite du livre emmène, ni la façon dont Bubblegum devient une sorte d’éloge de la folie. Folie géniale, sympathique, sensée au bout du compte, dans un monde de fous, comme dans le Requin de Will Self. On dira juste que le second roman de Levin séduit autant que son premier, en souhaitant le meilleur aux éditions Inculte pour cette avant-première mondiale.
Bubblegum (Inculte), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maxime Berrée, 1 052 pages, 25,90 €
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