Wendell Manwarren, chanteur du groupe de rapso 3 Canal, raconte ici l’importance de J’ouvert, et révèle le côté obscur et désinhibé de carnaval.
[attachment id=298]J’ouvert (ou « jouvay ») est l’aube du lundi qui précède mardi gras à Trinidad. Ce « jour ouvert » donne lieu à l’un des moments les plus festifs et fascinants de la semaine de Carnaval -à retrouver en photos en suivant le lien en fin d’article. Pour célébrer le passage de la nuit au jour, les masqueraders paradent dans les rues vêtus de costumes faits maison et s’adonnent au rituel de l’aspersion de boue et de peinture. Pour y participer, il est recommandé de porter des vêtements usagés.
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Outre son aspect folklorique, J’ouvert conserve une dimension spirituelle qui révèle le sens originel et la symbolique profonde de Carnaval, moment de folie où les règles et les interdits sont transgressés, où le chaos reprend ses droits, où les hiérarchies sont renversées et la personnalité cachée de chacun libérée. Ceux qui participent à cette fête nocturne sont souvent présentés comme étant des « revellers ».
Cette tradition remonte au Jamette Carnival, moment de licence dont l’essor coïncide avec la fin de l’esclavage au milieu du 19ème siècle. Arrivé avec les émigrants français, fuyant la révolution haïtienne, le Jamette Carnival a longtemps choqué la société coloniale avant d’être interdit. On en trouve une description dans un rapport établi par R.C.G. Hamilton pour le compte de la couronne d’Angleterre datant de 1881 (cité par Gordon Rohlehr dans son Calypso & Society, Lexicon Trinidad Ltd) : « Pendant carnaval, il est commun d’entendre dans les rues les chansons les plus viles, dans lesquelles le nom de certaines ladies de l’île sont citées, de surprendre le langage le plus vulgaire et d’être exposés à des scènes d’une rare obscénité auxquelles participent des individus des deux sexes. » Franchement, hormis le langage, on croirait lire certains éditoriaux de la presse trinidadienne d’aujourd’hui, toujours très mal à l’aise avec le désordre ambiant de cette période, et plus encore avec certains textes de soca ou la contagion du wining.
[attachment id=298]Wendell Manwarren (à gauche sur la photo) vit depuis son enfance dans la culture et la fascination de J’ouvert. Membre du groupe de Rapso (pour rap-calypso) 3 Canal avec Roger Roberts et Stanley Kewley, il est aussi acteur de théâtre et professeur d’art dramatique. Toute sa carrière, de sa rencontre avec Peter Minshall au sein du Theatre Workshop, à ses premiers succès avec 3 Canal, jusqu’au récent spectacle, Shine, présenté par le groupe au Queen Hall de Port of Spain le 1er Février, tourne autour de J’ouvert. Il serait même assez juste de dire qu’il a relié toute sa vie à ce rite de passage.
Quels sont vos premiers souvenirs de J’ouvert ?
Wendell Manwarren : J’avais 9 ans quand mon oncle m’y a emmené pour la première fois avec deux cousins. A cet âge , on ne comprend pas très bien ce qui se passe. On nous a recouvert de boue et on a marché jusqu’à Independence Square. J’étais à la fois effrayé et fasciné. C’était difficile pour un enfant d’exprimer ça en mots. J’ai conservé de cette première fois un sentiment d’exaltation et d’effroi.
Que représente J’ouvert pour l’adulte que vous êtes devenu ?
W.M. : Plusieurs choses : le moment où l’on se débarrasse de son moi civilisé pour retrouver un état naturel, l’instant d’une renaissance, une manière de se perdre dans une zone ténébreuse pour mieux se retrouver. C’est avant tout une façon de célébrer la vie. Vous retrouvez l’équivalent au Brésil ou à la Nouvelle Orléans, preuve de l’importance de cette symbolique.
De quelle façon J’ouvert a t’il affecté votre carrière ?
W.M : De toutes les façons possibles et imaginables puisque c’est par J’ouvert et sa dimension spectaculaire que j’ai choisi la voie théâtrale. Au début des années 90, j’ai rejoint la compagnie de Peter Minshall, Callaloo Company, puis le Trinidad Théâtre Worksop. Notre groupe s’est créé en fréquentant le Callaloo Mas Camp ( atelier où l’on fabrique les costumes de Carnaval). En 1997, notre chanson Blue a été très importante dans la réévalutation de J’ouvert à Trinidad et nous en sommes venus à mener une carrière de musicien en parallèle mais sans abandonner la partie théâtrale…
Le Carnaval, et J’ouvert en particulier, perd il de son authenticité ?
W.M. : Il est indéniablement pollué par des arrières pensées commerciales. Les prises de position de nos chansons comme nos spectacles ont toujours été de ce point de vue très engagés. Le vrai J’ouvert a pour but de défier les normes sociales comme les autorités qui les défendent. En dénaturer l’esprit revient à amoindrir une certaine capacité de résistance qu’il faut sans doute considérer comme plus spirituelle et mystique que vraiment politique.
Votre nouveau spectacle, Shine, s’inscrit il dans cette même tradition. On pense beaucoup à la comédie musicale Hair…
W.M. : Depuis 10 ans tous nos spectacles reviennent à cette même source. EN 2008, nous pensons qu’il est grand temps de revenir à la lumière. Qu’il est temps de retrouver pour toutes choses le sens de la beauté. Il faut retrouver en soi des forces qui puissent repousser les ténèbres et contrer la folie qui nous entoure.
(Propos recueillis le 1er Février 2008)
/// Site de 3 Canal : www.3canal.com
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