Cofondateur de la mythique Paris Review, journaliste, acteur, trapéziste ou boxeur, George Plimpton publie, en 1977, Shadow Box, autoportrait gorgé d’humour et d’élégance d’un “amateur professionnel”.
Ça n’est pas banal de commencer un livre de 384 pages consacré à la boxe par : “Je n’ai jamais rien compris à la boxe.” Ce premier hameçon destiné à ferrer la curiosité est suivi d’un second, tout aussi piquant : “C’était tout bonnement un art que je n’aimais pas.” Ce qui est encore moins banal, c’est que même si l’on n’en a rien à battre de la boxe et de sa mythologie viriloïde, on est instantanément ensorcelé par ce feuilleton autobiographique plus virevoltant que la pavane d’un pugiliste sur le ring. Comme le suggère le titre, Shadow Box, la boîte du livre, est comme la boîte noire des avions qui enregistre tous les mouvements, même les plus fantomatiques. La boxe comme gros morceau au milieu du récit et, projetés à la périphérie, bien des lambeaux précieux.
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Cet effet de centrifugeuse romanesque doit tout à la personnalité diffractée de son auteur : George Plimpton (1927-2003), légende des lettres américaines pour avoir cofondé en 1953 la revue The Paris Review, une référence absolue tant pour ses entretiens fleuves avec des écrivains aguerris (Beckett, Nabokov, Borges, Burroughs) que par son talent à dénicher des auteurs alors émergents (Jack Kerouac, Philip Roth, Nadine Gordimer…).
De longues semaines d’entraînement
Mais Plimpton avait une autre “curiosité” tout aussi dévorante, le journalisme. On lui doit l’invention du “journalisme participatif”, un “terme affreux”, disait-il, qui servit de matrice à la free press américaine des années 1960 et à son fameux style gonzo où le reporter est à la première personne un des protagonistes de son reportage. Maître de cette école buissonnière, Plimpton fut, tour à tour, joueur de triangle dans l’orchestre philharmonique de Boston (“j’ai hélas complètement massacré la Quatrième de Mahler”), trapéziste dans un cirque, cuistot dans un restaurant new-yorkais, ornithologue lors d’une expédition en Antarctique ou encore figurant dans quelques films, dont Rio Bravo de Howard Hawks ou Lawrence d’Arabie de David Lean.
Mais c’est surtout pour le sport, avec le sport, dans les colonnes du Sports Illustrated, que George Plimpton “participa” au plus haut point. En 1977, en mal d’article, il lance un défi au boxeur Archie Moore, champion du monde des poids mi-lourds. Moore accepte, plus qu’intrigué par ce freluquet – âgé de 50 ans ! – qui prétend l’envoyer au tapis. Se prenant tout autant au sérieux qu’à la rigolade, Plimpton narre ses longues semaines d’entraînement destinées à donner de l’étoffe à sa morphologie d’échassier filiforme : “Je peux faire glisser ma montre du poignet au coude.” Et il découvre que le simple fait de maintenir son bras tendu, surtout avec un gant de boxe, est un effort pénible, comparable “aux exercices intenses que suivait Hitler pour effectuer le salut nazi”.
Son combat contre Moore se solde évidemment par un KO saignant. Mais cette déconfiture redouble la considération dont il jouissait déjà auprès des stars du noble art. Notamment Cassius Clay, futur Mohamed Ali, qu’il suit lors de plusieurs matchs et singulièrement en octobre 1974 à Kinshasa dans le match contre George Foreman. Sa description du “combat du siècle” tient dans une formule fulgurante : “Un homme face à un autre dans la plus élémentaire des configurations.”
Des figures “marginales” hantent Shadow Box
Mais Plimpton s’attache avec autant de brio aux à-côtés : les extravagances verbales de Cassius Clay qu’il n’est pas loin de qualifier de dadaïstes, ou la personnalité d’un certain Malcolm X, à l’époque gourou de Clay. Son portrait du leader des Black Muslims est sidérant de subtilité et subrepticement engagé puisqu’il accorde beaucoup de place aux déclarations radicales de Malcolm X à propos du “dream” de Martin Luther King : “L’intégration est une idée absurde, un rêve. Je ne m’intéresse pas aux rêves mais aux cauchemars.”
Même fiesta d’élégance pour les autres figures “marginales” qui hantent Shadow Box, de Tennessee Williams à Miles Davis, de Norman Mailer à Truman Capote. Tous décrits avec amitié et loufoquerie, jusqu’à, ô prodige, nous rendre aimable l’irascible Ernest Hemingway. C’est la grande classe de Plimpton : tremper sa plume bouillonnante dans une encre sympathique qui révèle des secrets humains invisibles. Parce que la “shadow box” c’est aussi la “near room”, l’antichambre de la mort. Une antichambre où il vaut mieux faire la nouba que se lamenter.
Shadow Box – Un amateur sur le ring (Editions du Sous-Sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons, 384 p., 24,50 €
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