Cette enquête en six épisodes de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé, qui fait intervenir 21 chercheurs du monde entier, rend enfin l’économie accessible à tous.
Vous aviez un peu peur de vous confronter aux 1232 pages du nouveau livre de Thomas Piketty, Capital et idéologie ?
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Voici 5h35 d’une série documentaire qui vous feront vous sentir plus serein – et même complètement calé en économie. Travail, salaire, profit, de Gérard Mordillat (Mélancolie ouvrière, Les Vivants et les Morts…) et Bertrand Rothé, diffusé sur Arte le 15 octobre, réussit l’exploit de rendre cette discipline réputée élitiste enfin accessible à toutes et à tous.
En six épisodes thématiques (travail, emploi, salaire, capital, profit, marché), composés d’interviews de vingt-et-un chercheurs du monde entier (Philippe Askenazy, Béatrice Cherrier, Yann Giraud, David Graeber, Danièle Linhart, Kako Nubukpo, Frédéric Lordon ou encore Andong Zhu), elle décrypte des concepts passés dans le langage courant, qui saturent l’espace de l’information, et dont le sens pourtant nous échappe bien souvent.
De Marx à l’ubérisation du travail
Centré sur les textes matriciels de Karl Marx (Le Capital, mais aussi Salaire, prix et profit et d’autres écrits), chaque épisode déplie une notion d’économie pour la rendre intelligible, et en montre les transformations jusqu’à l’ère actuelle de l’ubérisation du travail. La grande qualité de ce documentaire fleuve (dont l’ambition rappelle celle de Capitalisme, la série sur l’histoire du libéralisme d’Ilan Ziv) réside dans la multiplication des points de vue, tant au niveau des nationalités que des disciplines.
Juristes, historiens, économistes et sociologues d’Afrique, de Chine, des Etats-Unis ou d’Europe croisent ainsi leurs regards et font la démonstration que, non, l’économie n’est pas qu’une science basée sur des modèles mathématiques accessibles seulement à une minorité de Bac + 12.
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Au fil des interviews, la notion même de travail, qui semblait aller de soi, est interrogée. Avant l’ère industrielle, on découvre ainsi qu’on préférait le terme “œuvrer” à celui de “travailler”. C’est ce verbe qui a donné le mot “ouvrier”.
Travail, quant à lui, vient du latin tripalium, un instrument de torture… L’avènement récent des “bullshit jobs” et la multiplication des phénomènes de souffrance au travail (burn-out) donnent toute son actualité à l’étymologie. A plusieurs occasions, l’histoire permet de jeter une lumière crue sur le présent. Ainsi, nous nous rendons compte que le salaire de subsistance, ou salaire minimum, si à la mode, est une idée datant du XIXe siècle – ce qui n’est pas forcément rassurant. Ou que le « marché du travail » est une métaphore qui échoue à décrire la réalité : il n’y a pas de marché, mais seulement un rapport de subordination nommé le salariat, auquel on n’échappe pas si l’on veut pouvoir se nourrir.
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Une œuvre d’éducation populaire
Bien sûr, l’intellectualisation du système économique finit par déboucher sur une critique du capitalisme. Mais celle-ci se fait naturellement, par déduction.
Ainsi, Frédéric Lordon fait remarquer que, si dans le débat public ordinaire les travailleurs en grève (cheminots, éboueurs) sont souvent qualifiés de « preneurs d’otages », c’est “le salariat lui-même [qui] n’est qu’une gigantesque prise d’otage”. Quant à la sécurité sociale, ce “stabilisateur politique du capitalisme”, elle a “conféré au système un socle de légitimité sociale et politique”, note le chercheur. “Et c’est cela que les dominants néolibéraux actuels voudraient envoyer à la casse”.
Au terme de ce cours magistral à vingt-et-une têtes, l’économie n’est plus cette discipline à l’état gazeux, omniprésente et insaisissable. Elle est sensible. En cela, Travail, salaire, profit (qui sort conjointement à un livre des mêmes auteurs, Les lois du capital), fait œuvre d’éducation populaire.
Travail, salaire, profit, de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé, Arte, le 15 octobre à 20h50 et sur Arte.tv
Les lois du capital, de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé, éd. Seuil, 304 p., 19,5 €
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