De l’intime au politique, l’exposition fait dialoguer les œuvres autour de la notion d’accueil et de l’urgence de ses modalités en période de crise migratoire.
Il suffit parfois d’une colonne recouverte de tissu en feutre. D’un tapis qui se déplie pour accueillir un corps de passage, puis que l’on range en l’enroulant sur lui-même jusqu’à la prochaine occasion. Cet objet est celui qu’imagine, en 1998, Matali Crasset et qu’elle intitule Quand Jim monte à Paris.
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La designer habite alors dans un appartement riquiqui à Paris et se désole de ne pouvoir y accueillir ses amis de passage. Fictionnel ou non, ce Jim enclenche la réflexion sur la place que l’on s’efforce ou non de ménager à autrui chez soi.
Une série de dispositifs évoquant Matali Crasset
Le MAC VAL, musée d’Art contemporain du Val-de-Marne, expose toute une série de dispositifs semblables à la “colonne d’hospitalité” de Matali Crasset, des objets dont la forme découle directement d’une fonction : accueillir, protéger, soigner. C’est le cas du Chapeau-vie de l’artiste Marie-Ange Guilleminot, l’une des redécouvertes du parcours.
Elle invente ce prototype en 1994, un couvre-chef initialement conçu pour protéger le cortex du curateur-star Hans-Ulrich Obrist qui lui avait confié qu’il se cognait partout. Mais celui-ci se transforme au gré des usages de chacun et devient tour à tour cagoule, chapeau, minerve, pull, robe ou sac de couchage.
Plus loin, la “robe mercurochrome” (1992), qu’elle réalise à partir de laine colorée à l’antiseptique et frottée de vaseline, précise sa démarche. A savoir une approche empirique, à la lisière de la mode, du design et de l’artisanat, pour confectionner des objets venant un tant soit peu pallier les agressions extérieures.
Si ces œuvres des années 1990 ressortent aujourd’hui des réserves, c’est qu’elles résonnent avec un courant de pensée longtemps dénigré au profit de formes plus nobles, c’est-à-dire formelles et abstraites : l’éthique du soin ou du care.
Un parcours de cinquante artistes par Ingrid Jurzak
Selon la philosophe Sandra Laugier, “les éthiques du care affirment l’importance des soins et de l’attention portés aux autres, en particulier ceux dont la vie et le bien-être dépendent d’une attention particularisée, continue, quotidienne”.
Ces œuvres s’inscrivent dans le vaste panorama de l’exposition Persona Grata, organisée en deux volets : à la fois au MAC VAL et au musée de l’Immigration. A partir des collections respectives des deux institutions, celle-ci explore les notions d’hospitalité et d’accueil, qui prennent tout leur sens dans un contexte de crise migratoire et de prise de conscience du sort des populations marginalisées, quelles qu’elles soient.
Au MAC VAL, le parcours des cinquante artistes sélectionnés par Ingrid Jurzak, chargée de collection, privilégie des pièces métaphoriques, poétiques ou immersives. Il y a encore le Prototype de luminaire présenté en 2001 à la Biennale de Venise par Pierre Huyghe en collaboration avec Philippe Parreno ; et les graphistes M/M imaginent une assise ronde où l’on profite à six de la douce lueur d’une canopée d’ampoules.
Ou encore les Daybeds de Laëtitia Badaut Haussmann, des assises carrelées parfois agrémentées de plantes. Ces sculptures se transforment en sièges dès lors qu’un visiteur fatigué ressent le besoin d’un peu de réconfort. Ainsi, ce sont les œuvres plus empiriques qui sont les plus justes, celles qui convoquent le corps individuel et s’appuient pour ce faire sur le design ou la mode.
Mise en contexte historique et la portée politique du « care »
Car le principal écueil qui guette les nombreuses expositions traitant actuellement de la migration est bien de redoubler la stratégie médiatique de l’image par l’image, qu’il s’agisse de la photographie choc ou du graphique déshumanisant.
Au musée de l’Immigration, les deux commissaires Anne-Laure Flacelière et Isabelle Renard ont choisi une approche complémentaire. Du fait de l’identité du lieu, la typologie des quelque cinq cents œuvres d’art contemporain acquises depuis 2005 par le musée, s’inscrit dans une veine plus documentaire.
Elles sont présentées ici selon un parcours thématique dans différentes salles, accompagnées de textes rédigés par Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, auteurs en 2017 de La Fin de l’hospitalité. Au fil des créations d’une trentaine d’artistes, dont Claire Fontaine, Bertrand Lamarche, Bruno Serralongue, Barthélémy Toguo ou Société Réaliste, se dessine la mise en contexte historique et la portée politique du care.
Pour les deux philosophes, le care trahit l’étiolement du concept politique d’hospitalité. Or le traitement moral ne peut, à long terme, remplacer l’impératif politique, écrivent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, qui proposent alors un “réalisme de l’hospitalité” issu d’une collaboration entre le gouvernement et la société civile.
Persona Grata – L’art contemporain interroge l’hospitalité Jusqu’au 20 janvier 2019, musée de l’histoire de l’Immigration, Paris XIIe ; jusqu’au 24 février 2019, MAC VAL, Val-de-Marne
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