Alors que les Français·es sont de plus en plus nombreux·euses à écouter chaque semaine des podcasts natifs, le marché peine à trouver un équilibre idéal. Enquête sur un secteur en pleine expansion.
La crise sanitaire a beau avoir ralenti l’économie du pays pendant plusieurs mois, elle aura permis d’intensifier certains usages et, par ricochet, de développer le marché du podcast français. Selon une étude menée conjointement par l’Institut CSA, Havas Paris et le Paris Podcast Festival, 14 % des Français·es écoutent désormais des podcasts natifs – diffusés en ligne, à l’inverse des podcasts d’abord diffusés en radio – chaque semaine. En 2019, il·elles n’étaient que 9 %.
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C’est à l’occasion du confinement que 13 % de ces nouveaux·elles utilisateur·trices se sont mis à écouter des podcasts de manière hebdomadaire, tandis que 61 % des utilisateur·trices ont augmenté leur fréquence d’écoute à la même période. Pour Nina Cohen, directrice adjointe du Paris Podcast Festival, le constat est prometteur : « L’écoute de podcasts natifs est devenue une pratique régulière. » Format connu de la quasi-totalité des Français·es âgé·es de 18 ans et plus (93 %), il est particulièrement écouté par les jeunes, citadin·es, mordu·es de culture et qui appartiennent aux catégories socioprofessionnelles favorisées.
Tout laisse à penser que son usage devrait croître avec les années et donc susciter l’intérêt des investisseurs, car ce contenu audio répond à une nouvelle manière de consommer les médias : l’utilisateur·trice maîtrise le temps de l’écoute. Reste aux acteur·trices français·es du podcast à trouver un modèle économique viable.
Au sein des studios de création, le coût de production d’un épisode est très variable. Katia Sanerot, directrice générale associée de Louie Media, nous éclaire : « Tout dépend du format. Pour un talk, un épisode coûte entre 3 000 et 5 000 € contre 5 000 à 7 000 € pour un format narratif et 8 000 à 100 000 € pour une fiction. » Même son de cloche pour Joël Ronez, président de Binge Audio, qui évoque un coût par épisode allant de 5 000 à 50 000 €. Pour ces deux studios qui font figure d’acteurs principaux du marché indépendant aux côtés de Nouvelles Ecoutes et d’Arte Radio, l’heure est encore à la diffusion gratuite de contenu.
“La production de contenu pour des marques représente actuellement 65 % des revenus de Binge Audio, d’ici trois ans on aimerait que cette part soit d’un tiers” Joël Ronez
Face émergée de l’iceberg, le sponsoring est une pratique courante. « Cela consiste à faire parler l’animateur d’un produit. C’est incarné : l’auditeur peut s’y reconnaître », explique Nina Cohen. Cette forme de publicité représente actuellement 15 % des revenus pour Binge Audio. Louie Media a aussi recours au sponsoring mais selon Katia Sanerot : « Ça ne suffit pas à financer un podcast. »
« La production de contenu pour des marques représente actuellement 65 % des revenus de Binge Audio, d’ici trois ans on aimerait que cette part soit d’un tiers », révèle Joël Ronez. Appelée brand content, cette méthode de financement peut prendre la forme d’un programme codiffusé ou celle d’une production « en marque blanche », qui ne sera diffusée que par la marque en question. Parmi les podcasts codiffusés, le patron de Binge Audio cite la série Sous la robe, réalisée en partenariat avec les Côtes du Rhône.
Zazie Tavitian, journaliste et autrice de ce podcast, avoue s’être interrogée : « J’ai souhaité être libre d’aller rencontrer les producteurs qui m’intéressaient pour ne pas tomber dans un discours publicitaire. L’avantage d’un tel partenariat, c’est qu’on a du temps et les moyens de travailler correctement. » Du côté de Louie Media, Katia Sanerot estime à une trentaine le nombre de podcasts produits en marque blanche. Au-delà des seules marques, il est de plus en plus courant pour les studios de produire du contenu pour des tiers (institutions culturelles, médias, etc.) voulant se faire une place sur ce marché émergent.
“Nous voulons être un soutien à tous les studios indépendants, devenir une force de frappe pour que le format se développe” Claire Hazan, directrice des studios Spotify
Pour la plateforme de streaming Spotify qui aurait investi 600 millions de dollars en deux ans afin d’acquérir des studios et des podcasts exclusifs, la volonté est d’installer durablement l’écoute de podcasts chez ses utilisateur·trices. « Nous voulons être un soutien à tous les studios indépendants, devenir une force de frappe pour que le format se développe », déclare Claire Hazan, directrice des studios Spotify.
Mais pour susciter la confiance des annonceurs, il manquait jusqu’alors des mesures d’audience encadrées. En juillet dernier, l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias) a dévoilé une certification des mesures de diffusion des podcasts basée sur le nombre de téléchargements en France et dans le monde. Binge Audio et Louie Media font partie des médias certifiés. « D’ici la fin de l’année, nous devrions être une trentaine de supports », estime Joël Ronez. Au mois de juin, Binge Audio s’est hissé en haut du classement avec un nombre de téléchargements monde de 1,5 million pour quelque 500 000 auditeur·trices.
Des revenus encore fragiles pour les auteur·trices
A l’autre bout de la chaîne, qu’en est-il des podcasteur·euses ? Venue du monde de la radio, Zazie Tavitian a créé son premier podcast culinaire – Casseroles – début 2018. Il a été diffusé pendant deux saisons sur Binge Audio. L’année dernière, la journaliste a mené l’enquête A la recherche de Jeanne pour Binge, avant de produire 30 Secondes chrono, sur Instagram. « J’ai la chance d’avoir commencé aux débuts du podcast : on m’identifie comme podcasteuse. Actuellement, je prépare deux pilotes. J’arrive à peu près à en vivre mais je dois compléter par d’autres activités. »
Selon Nina Cohen, il est encore difficile d’en vivre quand on n’est pas salarié·e d’un studio, car il n’existe pas de statut établi pour les auteur·trices. Certain·es sont journalistes pigistes quand d’autres sont comédien·nes ou conférencier·ères et ont à ce titre des revenus plus confortables. « En 2020, on en est à un stade où il faut veiller à ne pas perdre trop d’argent quand on crée un podcast », regrette t-elle. Cet automne, la SCAM (Société civile des auteurs multimédia) a néanmoins signé un accord avec Binge Audio puis Louie Media pour permettre aux auteur·trices d’œuvres sonores de percevoir des droits de diffusion issus de leur création. Une première victoire qui pourrait amorcer une professionnalisation des auteur·trices.
Vers une monétisation des podcasts ?
Une meilleure rémunération des auteur·trices viendra peut-être aussi de la monétisation des podcasts. Car, au fur et à mesure que le nombre d’auditeur·trices de podcasts natifs grandit, la question du contenu payant prend de l’importance. « Nos podcasts sont gratuits mais on propose des produits culturels dérivés, en informant nos auditeurs », souligne Joël Ronez. Actuellement, cette diversification allant de l’édition de livres aux jeux de société en passant par les événements payants représente 20 % des revenus du studio. Louie Media a pour sa part signé un accord avec les éditions Les Arènes pour décliner son catalogue en livres.
Lancé en 2017, le studio payant BoxSons n’a pas trouvé son équilibre économique et a mis la clé sous la porte deux ans plus tard
Binge Audio et Louie Media font également un pas vers le freemium, qui consiste à proposer des bonus payants à sa communauté. En avril, Louie Media a lancé le Club Louie, soit deux offres à 5 et 16 euros par mois. La première donne accès à des podcasts en avant-première, des rencontres en ligne, des réductions sur les événements, et la deuxième est enrichie d’une masterclass mensuelle. En octobre, c’est au tour de Binge Audio de lancer La Dose, une lettre hebdomadaire à lire et à écouter, à 5 euros par mois.
Quid des abonnements aux podcasts ? En France, le système ne prend pas. Lancé en 2017 par la journaliste Pascale Clark, le studio payant BoxSons n’a pas trouvé son équilibre économique et a mis la clé sous la porte deux ans plus tard. La plateforme d’écoute Majelan avait fait le choix de mettre à disposition gratuitement les créations de studios concurrents tout en faisant payer ses propres podcasts. Un an plus tard, la start-up a abandonné cette idée pour se concentrer sur des émissions dédiées au développement personnel. A Nina Cohen de conclure : « L’écosystème n’est pas assez mature pour proposer du payant. Il n’y a pas encore de Netflix du podcast. Quand l’usage sera mieux implanté, on acceptera le fait d’avoir accès à tel podcast sur telle plateforme et nulle part ailleurs. »