Il était l’une des révélations de 120 Battements par minute en 2017. Aujourd’hui, Arnaud Valois illumine la série Moloch aux côtés de Marine Vacth et le premier long métrage de Nicolas Maury, Garçon chiffon. Rencontre avec un acteur lucide sur son travail et son parcours.
Dans les premières scènes de Moloch, le contraste est saisissant entre le jeune homme que nous connaissions dans 120 Battements par minute il y a trois ans, un militant d’Act Up amoureux et endeuillé, et le flic qui arrive sur une scène de crime après une étrange affaire de combustion spontanée. Mais dans son jeu, Arnaud Valois ne semble pas perturbé par cet effet d’étrangeté. Bientôt, il forme avec Marine Vacth (qui joue une jeune journaliste) le couple le plus désirable que l’on puisse imaginer dans une série française.
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Ce déplacement naturel des attentes lui ressemble. Mais comment l’expliquer ? “Après le film de Robin Campillo, je m’attendais à recevoir énormément de scénarios dans la même veine, explique-t-il. En fait, j’ai suscité des projections complètement différentes chez les cinéastes : un pompier, un militaire, un vétérinaire et donc, ici, un flic dans un récit fantastique. On me dit que la façon dont j’incarne les personnages laisse ouvertes beaucoup de perspectives. Pourquoi pas ! Mais, évidemment, je ne joue pas en me disant que je vais laisser ouvertes des perspectives !” (rires)
Arnaud Valois ne semble jamais dépassé par le désir qu’il inspire. Il s’en accommode comme d’une donnée parmi d’autres, dont il est inutile de chercher l’origine. Il se montre plus prolixe quand il exprime son propre désir. Sa partenaire dans Moloch l’a stupéfait. “Pendant les lectures du scénario avant le tournage, je ne pouvais pas m’arrêter de regarder Marine.”
“C’est très impressionnant. Je ne parle pas forcément de sa beauté, mais vraiment du magnétisme qui se dégage d’elle. Quasiment toutes mes scènes sont en duo avec elle et nous avons pu faire fructifier le contraste entre nous. On ne travaille pas de la même façon. Marine est d’abord instinctive sur le moment, moi je suis davantage dans la réflexion et le travail en amont.”
Un jeune premier vingtenaire
Créateur et réalisateur de Moloch, Arnaud Malherbe confirme la méthode Valois. “Ce grand écart avec Marine Vacth m’a passionné. Même pour un rôle moins important en termes de présence à l’écran, Arnaud arrive en ayant pris trois pages de notes, tout le scénario est annoté, il s’est imaginé le background du mec qu’il incarne. Dans le chaos de la préparation d’une série, c’est bien d’avoir quelqu’un qui ne vient pas en touriste. En même temps, Arnaud a eu le désir enfantin de jouer un flic. Il m’a dit qu’il en rêvait, ça m’a fait rire. Il veut devenir de plus en plus acteur, même s’il l’est déjà : ne pas être seulement ce qu’il est ou ce qu’il peut donner malgré lui, mais s’emparer d’un projet de personnage et le travailler. Se dire qu’il peut tout faire.”
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L’intéressé n’exprime pas encore cette ambition (“Je pense que je ne suis pas capable de tout jouer, et je ne me fais pas de bile à ce propos »), mais la problématique a du sens au regard de son parcours. Il a été un jeune premier vingtenaire dans Selon Charlie (2006) de Nicole Garcia, puis dans La Fille du RER (2009) d’André Téchiné notamment, avant de sortir du métier d’acteur par lassitude et manque de sollicitations. On a retrouvé Arnaud Valois en Thaïlande, où il a suivi une formation de masseur thaï, avant d’ouvrir un cabinet de sophrologie à Paris – il a été récemment un lecteur attentif de Yoga d’Emmanuel Carrère, qui l’a passionné.
“Si j’avais continué à être comédien de ma vingtaine à mes 36 ans aujourd’hui, je serais un acteur différent. Mais il y a eu ce break énorme de sept ans où j’ai travaillé sur les autres, sur moi, sur comment aller bien. J’imagine que cela ressort dans ma façon d’interpréter des personnages et d’être avec les gens sur un plateau. De cette période, j’ai conservé tous les outils que je connais (sophrologie, méditation) pour me les appliquer à moi-même. Pour sortir de la bulle d’un tournage et pour y entrer, c’est vraiment intéressant.
“Je connais ma chance d’avoir ces boussoles pour mieux vivre les hauts et bas du métier, les variations d’émotions et de sensations qui impactent la tête et le corps. La vie n’est pas un plateau de cinéma. Je comprends très bien mes camarades qui ont envie d’y passer tout leur temps, puisqu’on peut y trouver un plaisir extrême, mais j’avoue que je prends plus de plaisir dans les énergies un peu plus neutres.”
“Cela m’a paru impossible après un hiatus de sept ans de faire semblant”
Clairement, Arnaud Valois peut arpenter avec joie d’autres territoires que ceux du cinéma ou de la télévision, ce qui rend son désir d’autant plus fort. “120 Battements par minute a tout bouleversé, dans le bon sens du terme. Pendant la tournée promo qui a duré des mois, je me suis demandé si j’allais tourner à nouveau, parce que la vie que je m’étais créée me satisfaisait énormément. Mais j’ai compris que j’aurais été idiot de ne pas saisir tout ce qui se passait. Quand on ne voudra plus de moi, ou quand je n’aurai plus envie, je repartirai ailleurs sans regrets.”
Un tel niveau de tranquillité intérieure, voilà peut-être ce qui a guidé le comédien dans son choix d’évoquer publiquement son homosexualité – lors de la tournée internationale ayant suivi 120 Battements par minute –, ce qu’aucun acteur français de sa notoriété n’a fait. Il s’affiche ce mois-ci sur la couverture du magazine Têtu avec ce titre : “Fier, haut et fort.” “Pourquoi j’en ai parlé ? Cela m’a paru impossible après un hiatus de sept ans de revenir et de faire semblant. Je n’ai aucun jugement à porter sur les autres, mais on m’a posé la question et j’y ai répondu sincèrement. Je ne pouvais pas faire autrement, moi en tant qu’Arnaud. La question de ce qui me paraît juste ou non est la seule qui vaille.
“Quand je reçois des scénarios, par contre, je ne me base pas sur l’orientation sexuelle du personnage. L’affirmation de qui je suis n’a rien changé à mon moi d’acteur. Je ne l’ai pas vécu comme quelque chose dont j’aurais dû me délivrer. Simplement, je suis revenu au cinéma avec un film dont les personnages, au risque de leur vie, revendiquaient tout. Je l’ai donc fait, à ma hauteur. Soyons clairs : je ne prends pas de risques en tant que comédien. Je vis dans un monde ouvert et fluide où je me sens à ma place.”
Le résultat de cette fluidité, c’est qu’Arnaud Valois passe cet automne d’un personnage de flic amoureux d’une journaliste torturée (Moloch) à celui d’un trentenaire qui tape dans l’œil d’une lycéenne (16 Printemps de Suzanne Lindon, en salle le 9 décembre), ou encore d’un vétérinaire en couple avec son compagnon très jaloux dans Garçon chiffon de Nicolas Maury, l’une des sensations de la fin d’année (à lire dans notre prochain numéro).
Bien plus qu’une beauté saisissante
Dans ce beau film, la masculinité à la fois classique et légèrement hors norme d’Arnaud Valois fait de lui bien plus qu’une beauté saisissante. “Je joue souvent des hommes en couple, c’est vrai, comme si j’étais une épaule sur laquelle se reposer. Si les gens savaient… (rires) Dans la vraie vie, généralement, c’est plutôt moi qui ai besoin d’une épaule. » Le film de Nicolas Maury a été pour lui une expérience intensive et joyeuse » et l’occasion d’une découverte.
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“Nicolas m’a choisi après un seul essai, en une seule prise. J’ai eu la sensation d’être vraiment regardé. Mais quand j’ai vu le film terminé, j’ai compris quel degré de cinéaste il avait atteint, ses plans, ses références, cette mélodie qu’il arrive à mettre en place. Pour moi, un cinéaste se reconnaît au fait que tu rentres dans une espèce de transe en voyant un film, qu’elle soit très joyeuse ou très angoissante. Avec Nicolas, tu passes par tous ces états.”
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Incarner une époque de la façon la moins volontariste qui soit n’est pas donné à tout le monde. Celui qui joue aussi actuellement dans le spectacle pour enfants Le Vilain Petit Canard, sur une musique d’Etienne Daho, traverse sa période d’intense actualité avec un flegme bienveillant, pas forcément dupe. Tout en ayant le talent de se trouver au bon endroit au bon moment, il est capable de rester légèrement en retrait, sans se formaliser. Il sait aussi que les séries et surtout le cinéma français se trouvent à un tournant, qu’il appelle de ses vœux.
A propos des César, Valois estime que vles choses vont revenir sur le bon chemin car nous avons maintenant une super présidente, l’ancienne patronne d’Arte, Véronique Cayla”, avant d’embrayer calmement sur l’importance de ne plus regarder en arrière. “C’est une excellente chose que l’on agisse pour la place des femmes et la diversité dans tous ses aspects – je déteste le mot ‘minorités’. C’est important que le cinéma et son industrie puissent ressembler à quelque chose de plus paritaire et inclusif, à l’image de la société.”
“Ce qui s’est passé, la vague MeToo, je la trouve nécessaire, bien que la déferlante arrive à retardement en France. Je pense qu’il faut ouvrir la parole. Parfois, les revendications sont extrêmes, mais sans revendications extrêmes, on n’avance pas. Avec des robinets d’eau tiède, on n’y arrivera pas. Nous avons besoin de figures qui prennent la parole de façon assez radicale.”
Quand il prononce ces mots, on pense évidemment à sa partenaire de 120 Battements par minute, Adèle Haenel, comme si le hasard des rôles et des projets n’en était jamais vraiment un. “J’ai été solidaire de l’action d’Adèle Haenel pendant les César, c’était sa façon de l’exprimer, et personne ne peut avoir de jugement là-dessus. Je ne peux que dire bravo. Aller jusqu’au bout de soi de cette manière, c’est remarquable.”
Moloch d’Arnaud Malherbe les 22 et 29 octobre sur Arte, du 15 octobre au 27 novembre sur arte.tv
Garçon chiffon de Nicolas Maury en salle le 28 octobre
Le Vilain Petit Canard spectacle musical, les 21 et 22 octobre, Philharmonie de Paris
> > Lire aussi notre critique de “Moloch”
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