Le cinéaste adapte le livre-enquête de Jake Bernstein et retrace avec virtuosité cette affaire tentaculaire.
Dans le genre on ne peut plus acrobatique du film d’intervention politique, The Laundromat (« lavomatic » en français) éclabousse par sa classe, ratant seulement son dernier cycle de séchage, celui qui scelle les chefs-d’œuvre. Tour à tour tendu et décontracté, sérieux et potache, glaçant et hilarant, le second film de Steven Soderbergh pour Netflix cette année (après l’excellent High Flying Bird) plonge dans les méandres du scandale des Panama Papers.
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Avec son partner in crime Scott Z. Burns (qui avait déjà écrit pour lui les imparfaits Contagion et Effets secondaires, mais surtout le magnifique The Informant!), il adapte ici le livre-enquête de Jake Bernstein (Secrecy World), détaillant les arcanes de cette affaire déclenchée par la fuite dans la presse, en 2016, du fichier clients d’un gros cabinet d’avocats véreux (Mossack Fonseca). Ces documents jetaient une lumière crue sur l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent, pratiqués en toute légalité par des milliers de nantis, à l’aide de sociétés-écrans hébergées dans des paradis fiscaux (notamment le Panama).
Une dissection méthodique
Cinéaste analytique s’il en est – chacun de ses films pouvant être vu comme la découpe chirurgicale d’un système, The Knick (série médicale historique dont il a réalisé les deux saisons en 2014 et 2015 – ndlr) étant ainsi son discours de la méthode –, Soderbergh choisit de disséquer méthodiquement cette pieuvre financière en en visitant alternativement les membres.
D’abord la tête, par l’entremise des diables Jürgen Mossack et Ramón Fonseca eux-mêmes (respectivement Gary Oldman et Antonio Banderas, délicieusement cyniques), qui viennent régulièrement s’adresser au spectateur pour lui révéler leurs sombres desseins d’un air goguenard. Ensuite les tentacules, accrochés à une sonde d’autant plus redoutable qu’elle paraît inoffensive (Meryl Streep, brillante en grand-mère opiniâtre cherchant à se faire indemniser par une assurance bidon), et qui nous trimballe aux quatre coins du monde (des Etats-Unis à l’île de Niévès, du Mexique à la Chine), là où se ramifie le capitalisme mafieux.
La beauté du film réside surtout dans ces saynètes a priori déconnectées, où Soderbergh use de sa caméra et de ses dialogues comme d’un scalpel, partant des extrémités pour peu à peu remonter jusqu’au cerveau – et le court-circuiter. A partir de sentiments diffus d’éclatement et d’impuissance, il fabrique patiemment du sens, rend intelligible la complexité. Mais il finit par commettre l’imprudence, peut-être grisé par la force de diffusion de la plateforme de streaming, de décocher sa flèche de la plus naïve et contre-productive des façons, en appelant directement aux électeurs américains pour changer la loi, et convoquant ainsi le souvenir funeste de Fahrenheit 9/11 – qui n’avait nullement empêché la réélection de Bush – dans un plouf retentissant.
The Laundromat – L’affaire des Panama Papers de Steven Soderbergh, avec Meryl Streep, Antonio Banderas, Gary Oldman (Netflix, 2019, 1 h 36)
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