Dans Ils s’aiment, Hugh Nini et Neal Treadwell offrent au regard du grand public des photos d’hommes qui s’aiment. Des images intimes capturées entre 1850 et 1950 et longtemps restées secrètes, glanées par les deux auteurs au fil du temps. Un amour de collection qui conjugue émotion et militantisme.
Disons-le d’emblée : Ils s’aiment, collection de 350 photos de couples d’hommes datées des années 1850 à 1950, est un ouvrage absolument sublime, à la fois par sa genèse, ce qu’il montre et ce qu’il évoque du passé. Son histoire, c’est celle d’un couple d’Américains – Hugh Nini et Neal Treadwell – qui, il y a vingt ans, tombe par hasard sur une photo où l’on peut voir un couple de garçons qui s’embrasse en se regardant avec passion.
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“Dans le regard de ces amoureux, écrivent-ils dans la préface de l’ouvrage, nous avions l’impression de voir se refléter notre propre amour. Ils portaient des habits de tous les jours et la scène se passait dans une banlieue américaine vers 1920. Prendre un tel cliché à cette époque n’était pas sans risque et témoignait d’une vraie détermination de leur part.”
De fil en aiguille, le couple se met à traquer ces vieilles photos au gré de ses voyages en Europe, au Canada et tout autour des Etats-Unis, à traîner dans les vide-greniers, à se lier d’amitié avec des antiquaires et à surveiller les ventes sur internet. Résultat : ils possèdent aujourd’hui plus de 2 800 photos provenant du monde entier, un petit trésor qu’ils appellent “la collection accidentelle”.
“On a fini par se dire que ces photos appartenaient à tout le monde, explique Hugh, mais on ne savait pas comment en faire profiter les gens, par où commencer.” « Un jour à New York, on a rencontré l’une des personnes à qui on avait acheté des photos, poursuit Neal, on lui a montré l’album, il s’est mis à tourner les pages les unes après les autres sans s’arrêter, et il nous a dit : il faut absolument les publier.”
Quand on parcourt ces 350 photos noir et blanc ou sépia, souvent non datées et identifiées – soit parce que les personnes ont disparu (les photos les plus récentes ont soixante-dix ans), soit parce que retrouver les protagonistes est véritablement impossible –, on est surpris par l’éventail social qui s’en dégage.
On y voit ainsi, souvent trahis par leurs vêtements ou leur environnement, des hommes aisés comme de plus pauvres, des Blancs comme des Noirs, des jeunes comme des plus âgés, des militaires comme des ouvriers, des cowboys comme des cheminots, tous faisant preuve d’un courage énorme à s’afficher ainsi à une époque où l’homosexualité était considérée comme illégale et se vivait dans le secret. Et pouvait surtout vous apporter opprobre public, amendes, enfermement en hôpital psychiatrique, quand ce n’était pas vous conduire en prison, au goulag ou en camp de concentration.
Le plus fascinant, c’est que, bravant les interdits, les couples photographiés trouvent toujours une manière détournée d’affirmer leur amour. Si on y voit très peu de baisers explicites, en revanche on se tient par l’épaule, on s’assoit sur les cuisses de l’autre, on pose les mains jointes, on entrecroise les jambes, on se prend en photo dans le même lit, collés-serrés à la plage, jouant comme des gamins dans l’eau. Certains détournent les codes du mariage sur des balançoires en forme de lune, symbole de la lune de miel, en s’affichant avec des bouquets de mariée ou réunis sous une ombrelle ou un parapluie, clin d’œil à leur proximité, arborant des alliances qu’on découvre en observant attentivement la photo.
“Il y a un moyen de savoir si une photo est ‘amoureuse’ : regarder dans les yeux. Quelque chose dans le regard ne trompe pas. Deux êtres amoureux ne font pas semblant” Hugh et Neal
Mais la preuve la plus évidente qu’amour il y a réside essentiellement dans la manière dont ces hommes se regardent. “Il y a un siècle, une embrassade affectueuse entre deux amis n’était pas rare”, soulignent Hugh et Neal. Ainsi pour être sûrs d’acquérir une photo de couple, les deux collectionneurs ont mis au point leur propre méthode :
“De telles photos d’amitié sont souvent présentées par les revendeurs comme des photos de couple. Aussi, nous suivons une règle que nous appelons ‘cinquante-cinquante’ : nous devons être convaincus à au moins 50 % qu’il s’agit de deux hommes vraiment amoureux. Il y a un moyen de savoir si une photo est ‘amoureuse’ : regarder dans les yeux. Quelque chose dans le regard ne trompe pas. Deux êtres amoureux ne font pas semblant.”
Pris dans des Photomaton, des studios photo, face à des miroirs ou par des personnes de leur entourage et de confiance, discrétion oblige, souvent à l’abri du regard des autres à cause du risque qu’ils représentaient, tous ces clichés, dévoilés pour la première fois, témoignent à leur manière du besoin d’affirmation de ces hommes. Affirmation de leur homosexualité, de leur amour, de leur besoin d’affranchissement comme de leur refus de se plier aux interdictions en vigueur. Mais surtout affirmation de leur désir, militant à sa manière, de laisser une trace aux générations futures, de prouver qu’ils ont ouvert la voie à une reconnaissance légale de leur amour. Et rien que d’y penser, on en a les larmes aux yeux !
Ils s’aiment de Hugh Nini et Neal Treadwell (Les Arènes), 336 p., 49 €
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