Avec cette autobiographie sans complaisance, le dessinateur américain Adrian Tomine jette un regard plein d’autodérision sur son métier.
“C’est comme être un des joueurs de badminton les plus célèbres au monde.” En mettant en exergue cette citation de l’Américain Daniel Clowes concernant sa célébrité en tant que dessinateur, Adrian Tomine donne le ton de cette autobiographie grinçante. S’il se réserve (forcément) le premier rôle de La Solitude du marathonien de la bande dessinée, c’est pour mieux se sacrifier lui-même sur le bûcher des vanités, raconter comment sa passion d’enfant pour la BD s’est transformée en une carrière plus ou moins ratée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Illustrateur remarqué du New Yorker et gros nom de la BD indé US, Tomine – dont Jacques Audiard est en train d’adapter en film l’album Les Intrus tout juste réédité – force évidemment le trait, rejetant en périphérie les succès et petites victoires. Même s’il n’épargne pas son ego, cet autoportrait en loser lui fournit un cadre afin de mieux étaler les bassesses auxquelles il a été directement confronté – les jalousies, le racisme qu’il a ressenti dans son propre pays en tant qu’Asio-Américain.
Des anecdotes improbables mais (plus ou moins) authentiques
Par séquences de quelques pages conçues selon le même format – un gaufrier de six cases identiques – et rangées dans l’ordre chronologique, il met en scène les épisodes peu glorieux et vrais moments gênants qu’il a vécus. Il y a ainsi les signatures en librairie sans public, le déjeuner dans un restaurant de sushi où l’inconnu de la table d’à côté critique à voix haute une de ses BD, le fan furieux qu’il faut gérer et même des ennuis gastriques qui gâchent une soirée prometteuse.
On rit franchement beaucoup, parfois nerveusement ou avec embarras, devant certaines anecdotes improbables mais authentiques (au moins pour certaines). Cet exercice de style radical, qui peut rappeler l’humour du cinéaste Judd Apatow période Funny People, finit – surprise – par flirter avec le drame, avant une ultime pirouette. En analysant aussi durement le reflet qu’il voit dans son miroir, le dessinateur nous place dans une position légèrement ambiguë, spectateur·trices d’un jeu de massacre beaucoup moins gratuit qu’il n’y paraît.
La Solitude du marathonien de la bande dessinée (Cornélius), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Baptiste Bernet, 168 p., 23,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}