Comme un préambule à sa mise en scène à venir des Frères Karamazov, Sylvain Creuzevault interroge la servitude volontaire dans Le Grand Inquisiteur et poursuit son entreprise de “dostoïevskification” du théâtre.
Ce Grand Inquisiteur où Sylvain Creuzevault convoque sans sourciller Heiner Müller, Staline, Marx, Donald Trump et Margaret Thatcher, est une mise en bouche acide, voire sous acide, du nouvel opus dostoïevskien présenté dans quelques semaines par le metteur en scène, Les Frères Karamazov, dans la lignée de ses précédentes créations, des Démons à Crime et Châtiment et L’Adolescent. Une véritable obsession qui le pousse aujourd’hui à tenter l’inouï : “une ‘dostoïevskification’ du théâtre. Et non pas une théâtralisation de son roman.”
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Quoi de plus ardu que de transformer une idée en action – ce que le politique ne cesse d’éprouver – et un concept philosophique en dispositif narratif ? Le théâtre des opérations est une chose, le débat d’idées en est une autre. Pour autant, le théâtre est bel et bien le lieu de la métamorphose. Celui des chimères de l’esprit en êtres de chair que le destin agite en actions désordonnées. Alors, tous les coups sont permis.
Une comédienne en Donald Trump, un acteur en Margaret Thatcher
Présenté comme un objet scénique autonome, Le Grand Inquisiteur imaginé par Sylvain Creuzevault est bougrement performatif et se déploie en trois temps : un condensé du chapitre Le Grand Inquisiteur, placé au cœur du roman Les Frères Karamazov, qui se termine par une scène d’orgie anthropophagique grand-guignolesque.
Un numéro de cabaret exécuté avec brio par une comédienne grimée en Donald Trump et un acteur travesti en Margaret Thatcher, infantiles et cruel·les, stupides et intouchables. Et le retour, nécessaire, impérieux, à l’exercice de la pensée via la diffusion sur écran, rejouée sur le plateau, de l’interview du poète dramaturge allemand Heiner Müller par son compatriote Frank M. Raddatz. Episode perturbé par les éclats intempestifs de personnages historiques et contemporains vantant les bienfaits de la servitude volontaire.
L’Histoire advient comme un cataclysme, un précipité de forces explosives
C’est le diamant noir de la pièce, son éclairage ébouriffant d’intelligence intitulé : “Penser est fondamentalement coupable – L’art comme arme contre la cadence de la machine (1990)”. Libérée du piétinement poussif de sa chronologie, l’Histoire advient comme un cataclysme, un précipité de forces explosives qui cerne le paysage dévasté où s’agitent et se pavanent nos contemporains.
“La question que pose Raskolnikov, c’est : ‘que reste-t-il au juste quand la religion s’effondre ?’ Qu’y a-t-il encore comme argument contre Auschwitz par exemple ?”, interroge Heiner Müller. Projeté sur le plateau, le texte se lit, s’entend et s’éprouve, accomplissant une révolution du temps qui dépeint notre actualité comme une dystopie déjà advenue, dans laquelle nous baignons et risquons fort de nous noyer.
Le Grand Inquisiteur, d’après Fédor Dostoïevski, mise en scène Sylvain Creuzevault avec lui-même, Nicolas Bouchaud, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igal, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier. Jusqu’au 18 octobre,Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris dans le cadre du festival d’Automne à Paris
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