Lancé aux États-Unis fin juillet, le mouvement de boycott de la vodka dans les bars gays, qui vise à protester contre les violations des droits des LGBT en Russie, gagne le Canada, l’Angleterre… et la France ?
Boycotter la vodka russe pour dénoncer les violations des droits des LGBT en Russie ? C’est l’idée saugrenue qu’a eue le journaliste et écrivain gay américain Dan Savage. Dans un billet intitulé « Pourquoi je boycotte la vodka russe » publié sur le site The Stranger le 24 juillet, il écrit :
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« Il y a quelque chose que l’on peut faire ici, tout de suite, à Seattle et dans d’autres villes américaines pour montrer notre solidarité avec les queers russes et leurs soutiens et pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la persécution des personnes gays, lesbiennes, trans et leurs soutiens hétéros dans la Russie de plus en plus fasciste de Poutine : LAISSER TOMBER LA VODKA RUSSE ».
Et de lister les marques de vodkas russes vendues aux États-Unis en soulignant en gras les deux principales : Russian Standard et Stolichnaya, surnommée « Stoli ». Il précise : « S’appuyant sur la page Wikipédia de Stoli qui n’a pas été mise à jour et sur une déclaration de Stoli, certains mettent en avant le fait que ce n’est pas une vodka russe. » Actuellement, la Stolichnaya distribuée à l’international n’est pas une vodka russe mais est distillée et mise en bouteille à Latvia » peut-on lire sur sa page Wikipédia (erronée). (…) Le 1er janvier 2014, Stoli redeviendra à nouveau une vodka russe. William Grant & Sons ne distribuera plus Stoli aux États-Unis après le nouvel an. »
« Propagande homosexuelle »
Son appel au boycott fait suite à l’adoption fin juin en Russie d’une loi clairement homophobe qui condamne la « propagande auprès des mineurs des relations sexuelles non traditionnelles », sans définir le terme de « propagande » (un baiser dans la rue relève-t-il de la propagande ?). Les étrangers coupables de cette « infraction » tombent eux aussi sous le coup de la loi puisqu’ils risquent une amende d’environ 2 300 euros et une détention administrative pouvant aller jusqu’à 14 jours.
Depuis l’examen de cette loi en janvier, les actes homophobes semblent se multiplier en Russie. Ce que nous confirme Tanya Cooper, spécialiste de la Russie à Human Rights Watch, qui rappelle que deux homosexuels ont été tués au mois de mai et plusieurs agressés depuis le début de l’année. « La loi va augmenter le seuil d’intolérance. Les attaques sur les militants LGBT en sont symptomatiques. »
Une situation critique qui a poussé bars et clubs gays (on en compte une vingtaine aux États-Unis) à répondre à l’appel de Dan Savage en boycottant la vodka russe et en le criant haut et fort sur les réseaux sociaux. Le 25 juillet, The Call, un bar gay de Chicago, a ainsi fièrement annoncé sur son profil Facebook son soutien au mouvement :
Le site d’informations LGBT America Blog a de son côté publié un certain nombre de captures d’écran d’annonces de boycott, dont celle de Lulu, un établissement de Palm Springs pas spécialement gay, qui expose pourtant une affiche au message très clair :
Le boycott a largement débordé les frontières américaines pour gagner le Canada et l’Angleterre. Selon l’AFP, environ quatre clubs à Londres et six à Montréal auraient annoncé qu’ils rejoignaient le mouvement. The America Blog en a également repéré à Toronto et Vancouver. Le boycott ne semble pour l’instant que très peu suivi en France. Sur cinq bars gays parisiens contactés par les Inrocks, seul le Bear’s den bar connaissait l’existence du boycott et avait décidé de l’appliquer. « J’ai vu ça sur Internet et j’ai donc changé notre vodka russe pour une Polonaise. Je ne pense pas que ça va changer grand chose mais au moins on suit le mouvement« , explique le propriétaire du bar.
Tiré par les cheveux ?
On ne peut s’empêcher de se demander si boycotter de la vodka pour mettre la pression sur la Russie au sujet des droits des LGBT ne serait pas complètement tordu… ou un très bel exemple de « slacktivism ». Formée sur les mots « slacker » et « activism », l’expression désigne une forme d’activisme inutile visant uniquement à donner bonne conscience aux personnes le pratiquant. Un terme repris dans un article paru le 29 juillet sur le site de Buzzfeed intitulé « Pourquoi le boycott de Stoli est malavisé et dangereux« . Y est reproché à Dan Savage d’avoir initié un mouvement slacktiviste (« On lève à peine le doigt pour aider et ensuite on se tape dans le dos pour avoir fait du bon boulot« ), de diaboliser tout ce qui se rapporte à la Russie, et de brouiller les cartes (« En quoi un boycott aide les personnes LGBT en Russie? Ok, ça envoie un message, mais Stoli – qui a une histoire de soutien à la communauté et aux événements LGBT – n’est pas l’ennemi« ). L’article mentionne également une publicité pour la vodka américaine SKYY adressant un clin d’œil au boycott en jouant la carte du patriotisme : une bouteille de vodka et un verre plein se dessinent en premier-plan, sur fond d’un drapeau américain, accompagné du hashtag #Cheerstoequality.
Attaqué de toutes parts, le PDG de Stoli, Mal Mendeleev, a écrit une lettre ouverte pour contrer les arguments de Savage. Il y réaffirme le soutien inconditionnel de l’entreprise à la communauté LGBT.
A première vue, ça n’a pas suffi : non seulement le mouvement s’étend, mais des militants ont vidé des bouteilles de vodka mercredi devant le consulat russe à New York. Dans l’article qu’il consacre à cette action, America Blog – qui a clairement pris position pour le boycott – jubile : « Dites ce que vous voulez sur la notion de boycott ou sur ce boycott en particulier mais il y a une semaine, quasiment personne n’avait entendu parler du violent traitement réservé aux citoyens gay et trans en Russie. Aujourd’hui, l’histoire est relayée dans le monde entier, et tout le monde en parle. J’appelle ça un succès. »
Quid des JO d’hiver ?
La nouvelle loi russe interdisant la « propagande homosexuelle » pourrait entraver le bon déroulement des Jeux olympiques d’hiver, qui se tiendront à Sotchi, en Russie, en 2014. Si le Comité international olympique (CIO) a assuré dans un communiqué que la loi ne s’appliquerait pas aux participants des J.O., un politicien russe a, lui, réaffirmé que la Russie ne suspendrait pas sa nouvelle loi. Spectateurs, athlètes et coaches étrangers risqueraient donc à tout instant de se retrouver derrière les barreaux avant d’être dégagés vite fait bien fait du pays.
Mais l’idée d’un boycott pur et simple des J.O. est loin de faire l’unanimité, même chez les athlètes homosexuels, pourtant directement concernés. Dans une tribune publiée dans le Falls Church-New Press, le patineur artistique gay américain Johnny Weir supplie la communauté internationale de s’abstenir de boycotter les J.O. S’il affirme que « le fait que la Russie arrête des personnes de [sa] communauté [lui] brise le cœur », il précise qu‘ »il n’y a pas un officier de police ou un gouvernement qui pourrait [l]’empêcher de participer aux J.O. En tant qu’athlète, ça serait la mort et la démolition entière de toute une vie de travail« .
Si le boycott n’est pour l’instant que peu réclamé, beaucoup proposent, via des pétitions, de se servir de l’événement comme d’une tribune. C’est le cas de la campagne All Out! qui a recueilli plus de 266 000 soutiens.
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