Abordées comme un récit d’émancipation, les aventures de jeunesse de la légende du Far West séduisent grâce à un imaginaire dense et vivant.
On ne sait pas grand-chose de la vraie vie de Calamity Jane, “légende de l’Ouest” qui n’aura laissé à la postérité pour toute ressource biographique que celles, peu fiables, qu’ont romancées de son propre vivant les spectacles du Wild West Show (où elle accompagnait Buffalo Bill) et la littérature de gare. Aucun problème à fantasmer donc quelques nouveaux faits d’armes à cette joyeuse affabulatrice, qui a pour ainsi dire donné son corps à la fiction.
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Epopées empowering
Longtemps cantonnée aux seconds rôles de rustaude à la gâchette légère (Robin Weigert dans Deadwood), tenue à l’écart des têtes d’affiche classiques par son caractère fruste (à l’exception en 1953 de La Blonde du Far West, où Doris Day en campe une version plus poupée), la voilà aujourd’hui honorée d’un film d’animation dans un sous-genre taillé pour elle : le récit initiatique d’émancipation féminine.
Rémi Chayé, déjà auteur du très apprécié Tout en haut du monde (2016), qui transformait une héritière de l’aristocratie tsariste en exploratrice du Grand Nord, semble donc se faire une spécialité de ces épopées empowering qui offrent aux petites filles des modèles d’autodétermination se traçant un destin dans des mondes d’hommes.
Palette fauviste et représentation soignée de la nature
La démarche est évidemment louable ; elle n’est pas non plus exempte de clichés (forcément, une scène où Jane se coupe les cheveux sur un coup de colère), potentiellement tout aussi codifiée qu’un conte de princesse Disney, et l’on craint dans le premier acte (qui chronique la vie d’une caravane de pionniers où la petite Jane découvre les privilèges masculins qui lui sont refusés : lasso, équitation, port du pantalon, maniement des armes…) de voir le film dérouler un programme trop rodé pour parvenir à nous émouvoir.
L’émancipation de Jane convainc parce qu’elle est voulue pour l’existence qu’elle va lui permettre de mener
Mais à partir d’une fugue qui lance réellement l’intrigue, s’ouvre un grand champ de découvertes et de péripéties où Calamity se montre tout à coup plus instable, vivace et généreux. Dépliant un imaginaire western dense et vivant, couplé à une représentation soignée de la nature (laissant supposer des inspirations surtout du côté de Miyazaki), le tout enrobé dans une palette raisonnablement fauviste, le film de Chayé fait l’effet d’un copieux buffet d’aventures dont le féminisme n’est pas une donnée morale et abstraite, mais une idée très organique et charnelle, motivée par l’appétit de vivre.
L’émancipation de Jane convainc parce qu’elle n’est pas voulue pour elle-même, mais pour l’existence qu’elle va lui permettre de mener – existence trépidante et solitaire, marquée par les épreuves mais surtout par la joie de les traverser, de les raconter plus ou moins honnêtement (on revient à l’affabulation), et bien sûr d’être mal élevée.
Calamity de Rémi Chayé avec les voix de Salomé Boulven, Alexandra Lamy (Fr., 2020, 1h22)
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