Depuis trois ans, les fondateurs de l’Atelier de Paname secouent le petit milieu de l’art contemporain et de la mode parisienne. Cet octobre, ils organisent la seconde édition de leur événement, la Biennale de Paname, qui dévoilera un panel transdisciplinaire de jeunes talents.
C’est dans leur atelier de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) que nous rencontrons Jean-Samuel Halifi et Salomé Partouche, artistes, couple et têtes pensantes de l’atelier de Paname et de “la Biennale de Paname”. C’est après trois années enrichissantes passées à Londres que le duo revient en France, lançant d’abord “l’Atelier de Paname” puis, en 2017, la première Biennale du même nom. L’idée : s’entourer d’un groupe d’artistes afin de réfléchir aux blocages toujours existants dans le monde de l’art parisien, et concevoir et produire ensemble de A à Z une biennale pensée par eux, par et pour les artistes.
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Évènement inédit, gratuit et ouvert à tous, se déroulant la même semaine que l’historique Foire internationale d’art contemporain (Fiac) au Grand Palais, il s’agit d’une proposition alternative qui entend bousculer un peu le milieu, que ce soit dans la pratique artistique, l’approche institutionnelle ou simplement dans le mode de production de la biennale en tant que telle.
Ouvertement sponsorisée par la marque Ralph Lauren – ce qui lui permet une plus grande aisance financière -, cette édition 2019 accueillera des travaux multiformes de 25 artistes allant de la peinture à la sculpture en passant par la performance. La Biennale de Paname pose donc la question de la liberté artistique, laquelle devrait pourtant aller de soi. Une bonne occasion d’aborder la question des frontières symboliques entre les arts, celle du financement par les marques, mais aussi la possibilité, aujourd’hui grandissante, d’auto-produire un évènement culturel. Rencontre.
Quelle a été la genèse de ce projet ?
Salomé Partouche – J’ai fait mes études à la Central Saint Martins de Londres, pendant trois ans. Jean-Samuel et moi nous étions rencontrés avant cela, en prépa, à Paris. A notre retour, on a monté cet atelier, et on a fait la Biennale. C’est vraiment venu de façon très simple, Jean-Samuel m’a dit : “Tiens, on ferait pas un évènement ?” Au départ, je trouvais cela trop compliqué : ce n’est pas notre job, et je me disais que ça nous ferait trop de travail en plus de nos productions artistiques personnelles.
Et puis, je me suis rendu compte qu’aujourd’hui, on peut tout faire soi-même, de la com’ avec Instagram, de la prod… En fait, une fois que l’on a compris les logiques à l’œuvre, ce n’est plus si compliqué. Aujourd’hui, nous sommes trois : Jean-Samuel, Damien (Moulierac, commissaire de l’exposition, ndlr) et moi, on centralise tout. Ce n’est pas évident de devoir aller chercher des subventions, des partenaires… Surtout quand ce n’est pas ta seule activité, ni la principale. Mais on est comme une grande famille, où chacun met la main à la pâte. Même pendant l’évènement, les artistes aussi seront parfois derrière le bar pour que tout roule.
Quelle est donc l’idée concrète de cette Biennale ?
Jean-Samuel Halifi – On fait un événement par les artistes, pour les artistes. A Londres, on a découvert un modèle qui n’existait pas en France. On en a eu marre d’attendre que les galeries viennent nous proposer des showrooms à 2 000 euros, et on a préféré essayer de casser un peu les codes, trop présents en France. C’est aussi pour cela que c’était très fort et important de le faire pendant la Fiac.
Salomé – On a choisi de travailler avec des marques, ce qui est particulièrement inédit dans le milieu. Pourquoi ? Parce que le projet coûte cher, que les mairies nous ont proposé des budgets vraiment ridicules, alors que nous voulions vraiment proposer un événement gratuit. Les marques apparaissaient donc comme les plus à même de nous aider financièrement. Pour la première édition, c’était Adidas qui nous sponsorisait, cette année, c’est Ralph Lauren qui est le partenaire principal. On en fait une sorte de collab’, en repensant tous leurs classiques : le polo, la bombe, la cravache… On voit cela comme une vraie discussion.
Est-ce que travailler avec des marques privées peut parfois vous bloquer artistiquement ?
Jean-Samuel – On leur dit dès le départ que certaines œuvres exposées critiqueront probablement un certain type de société. La marque sera ou non pointée du doigt, et peut-être qu’un de nos artistes refusera de travailler avec elles, mais le but est que l’on ne nous impose rien. C’est pourquoi nous demandons au préalable une liberté d’expression et de création et, ensuite, on se met d’accord sur nos envies.
En réalité, il y a aujourd’hui tellement de propositions venant des marques, que l’on peut se permettre de choisir. Elles viennent nous chercher pour notre ADN, et c’est cette liberté qui fait partie de ce que l’on propose. C’est aussi pour cela que la marque découvrira l’exposition au même moment que tout le monde, le jour J. On présente ce que l’on veut présenter. Pour l’instant en tout cas, aucune marque ne nous a dit : “Non, on n’aime pas tel ou tel artiste.”
Vous faites ça pour l’art…
Jean-Samuel – On a eu une conférence avec les étudiants de Sciences-Po, c’était très sympa. Mais ils avaient du mal à envisager qu’on ne fasse un évènement que pour l’art, sans aucun but lucratif. En réalité, l’idée c’est surtout d’avoir un événement d’art contemporain avec un vrai ADN, et quelque chose de libre et « pour tout le monde ».
Mais le “pour tout le monde” n’est pas évident en France, non ?
Salomé – Non c’est vrai, et cela vient aussi de l’éducation en France, qui a du mal à faire des ponts entre les disciplines. C’est d’ailleurs pour cela que, s’ils peuvent se permettre de partir, de nombreux artistes ne font pas leurs études en France. Il existe un snobisme interne, qui fait que certaines pratiques sont considérées comme moins « artistiques », alors qu’on défend une vision plus large.
La scène française met également plus souvent en avant des artistes chinois, brésiliens, allemands. Comme si les Français n’étaient pas assez « exotiques ». A l’inverse, on est plus mis en valeur à l’étranger. Les écoles manquent de moyens. A la Saint Martins, le show de fin d’études attire plus de 25 000 personnes ! C’est une vraie exposition. A contrario, aux Beaux-Arts de Paris par exemple, chaque étudiant fait sa propre petite expo, et personne ne vient la voir… C’est dommage. On essaie donc de redonner un peu la parole aux jeunes artistes français, en leur proposant une alternative qui ne discrimine pas les pratiques, et qui recentre l’intérêt sur nos talents. Le tout, en décloisonnant un peu tout cela.
Pourquoi avoir décidé de rentrer en France ?
Jean-Samuel – Bon déjà, on ne va pas se mentir : l’aspect financier a été non négligeable. Londres est une ville très chère – c’était tous les soirs « pasta ».
Salomé – Je pense surtout qu’on avait envie de faire quelque chose en France, et en particulier à Paris. Beaucoup de choses n’ont pas été faites ici, alors qu’elles l’ont été ailleurs. Il y a encore de la place pour les projets. On avait déjà assisté à des expositions collectives, mais elles avaient souvent été mal faites ou mal montées.
C’est aussi comme cela qu’on en est arrivés à parler avec les marques. En arrivant, on cherchait un moyen de se donner une crédibilité. Et quand une marque comme Adidas te soutient, tu gagnes forcément en crédibilité, les collectionneurs viennent, et le public qui est là ne vient pas forcément de l’art contemporain, ce qui rend l’évènement intéressant.
Quel a été l’accueil du milieu de l’art par rapport à un évènement comme le vôtre ?
Salomé – Quand tu es artiste, tu ne prends la place de personne. Les galeristes viennent chez nous et s’intéressent aux artistes qu’on expose. Donc finalement, pas de problème
Comment voyez-vous l’avenir pour la Biennale de Paname ?
Salomé – Eh bien, une Biennale de Paname numéro trois ! Et peut-être l’exporter à l’international, à Rio, Tokyo, Amsterdam… En faisant intervenir des artistes locaux, et d’autres que l’on emmènerait avec nous.
Propos recueillis par Pauline Malier
A l’occasion de la Biennale de Paname, du 17 au 20 octobre 2019 au 10 Boulevard de la Bastille (Paris XIIe), retrouvez la conférence “Les Inrocks talks x Biennale de Paname : création 3.0., vers une chute des frontières ?”, le vendredi 18 octobre à 17 h, à Paris. Alice Pfeiffer sera médiatrice de la conférence pour les Inrocks !
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