Du retour de Crash Bandicoot aux combats spatiaux de Star Wars : Squadrons en passant par un Super Mario qui se démultiplie et le charmant préquel de la série japonaise Ys, quatre jeux en vue dessinent un portrait multiface de cette créature singulière : le héros de jeu vidéo. Et aussi : la plateforme cruelle mais toujours dansante d’Electronic Super Joy 2 et l’élégant puzzle game anti-capitaliste Rip Them Off.
Il ne pourra en rester qu’un. Un seul Mario toujours debout quand tous les autres auront mordu la poussière, défaits par les Goombas ou les Koopas, dévorés par une plante Piranha ou juste bêtement tombés dans un gouffre sans fond à cause d’un saut mal dosé dans la précipitation. Un seul survivant alors que, sur la ligne de départ, il y a quelques minutes à peine, ils étaient 35, chacun dans son monde à conquérir qui se trouve, cependant, être le même que celui des autres. On le connaît bien, d’ailleurs : c’est celui de Super Mario Bros, le jeu de plateforme qui a tout changé il y a 35 ans. D’où, d’ailleurs, le nombre fixé de participants fixé à 35 dans cette relecture du grand classique sobrement baptisée Super Mario 35 et qui repose, donc, sur une logique d’élimination à la Fortnite / PUBG.
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A la différence près que, si l’on peut « envoyer » les ennemis que l’on a vaincus sur le terrain de jeu des autres – d’où, parfois, l’arrivée un rien surréaliste d’un banc de poissons sur un niveau dépourvu d’eau ou du terrible Bowser extrait de son château –, c’est essentiellement en solitaire et face au monde joyeux mais riche en pièges que chacun se débat. Le héros, c’est celui qui est seul au début et encore plus à la fin.
https://youtu.be/5NSJJ6iQyj0
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Droit à l’unicité
Drôle de destin pour le plus fameux des héros de jeu vidéo, cloné en 35 exemplaires et précipité sur autant de scènes identiques, une grande au milieu de l’écran (la nôtre) et 34 autres qui l’encadrent et dont le rideau rouge ne restera levé que tant que son hôte quasi-anonymisé, un petit Mario primitif parmi tous les autres, s’agitera encore dans son combat fébrile pour regagner son droit à l’unicité. Son droit à devenir vraiment Mario. Le grand, l’unique, le king du jeu vidéo.
Manipulé comme un pantin ou une poupée par les joueurs qui, selon les cas, se glissent dans sa peau de pixels et de polygones (quand la vue est subjective) ou le suivent du regard du début à la fin de l’aventure, un héros de jeu vidéo, ce n’est pas la même chose que, par exemple, un héros de cinéma ou de bande dessinée. Et, dans l’actualité, Mario n’est pas le seul à subir de drôles de mutations. C’est le cas, aussi, de l’un de ses vieux rivaux de l’époque où les jeux de plateforme opéraient les uns après les autres leur passage de la 2D à la 3D : Crash Bandicoot qui, après le grand succès rencontré par la trilogie remasterisée de ses premières aventures des années 1990, revient dans Crash Bandicoot 4 : It’s About Time. Une précision, quand même : ceci n’est pas, loin s’en faut, le quatrième jeu de la série, qui a connu bien des mutations avant d’entrer en sommeil à la fin des années 2000. Le 4 est surtout là pour marquer la volonté de s’inscrire, scénaristiquement et surtout pudiquement, dans le prolongement des trois premiers Crash Bandicoot, en faisant comme si les suivants, les jeux de son déclin, n’avaient pas vraiment existé.
Epatante corvée
C’est à la fois la limite et la principale qualité de ce Crash Bandicoot 4. La limite parce qu’il reprend quasi religieusement des dispositifs et systèmes de jeu qui, à l’époque, était en grande partie dus à des contraintes techniques. Ainsi de l’impossibilité de dévier d’un parcours fixé pour partir explorer ou de ces phases de poursuite vues de face qui étaient déjà assez pénibles il y a vingt ans. On pourrait aussi regretter le manque de précision des sauts quand notre personnage est vu de dos, assez problématique dans un jeu qui, sur ce plan, se révèle extrêmement exigeant. Trop injuste ? Peut-être, mais cette fidélité à la « formule » Crash Bandicoot, reprise en bloc, est justement ce qui fait l’intérêt d’It’s About Time, qui semble même s’en amuser. L’un de ses premiers niveaux a pour titre « Quelle corvée« , ce qui pourrait être un bon résumé de l’expérience Crash Bandicoot 4 à condition d’y ajouter un adjectif. Quelle épatante corvée, disons, qui nous épuise et nous soulage à la fois.
Car jouer à Crash Bandicoot, c’est souffrir de nos échecs comme de ce qui arrive à notre héros en jean et baskets rouges aux faux airs de Diable de Tasmanie qui chute, se cogne, s’électrocute et explose, en particulier quand on confond les caisses de TNT (qui nous laissent trois secondes de délai) et celles de nitroglycérine (qui font boum tout de suite). Le héros, ici, c’est celui qui morfle pour nous et dont, au fond, les malheurs nous vengent de nos ratages la manette en main (ou dans la vie, sait-on jamais). Son corps est l’héritier de ceux des héros de cartoons, à ceci près que, dans le jeu vidéo, on le contrôle nous-même. Crash Bandicoot serait-il notre souffre-douleur, notre doudou SM pour se faire du bien en se/lui faisant du mal ? Le héros, c’est celui qui souffre à notre place.
Absent
Parfois, aussi, le héros est celui qui manque. Dans Ys Origin, superbe action-RPG japonais qui vient d’arriver sur la Switch après être déjà passé par bon nombre d’autres machines à jouer, l’indéboulonnable star de la saga, un jeune aventurier aux cheveux roux prénommé Adol, est aux abonnés absents. Logique : Ys Origin est un préquel dont l’intrigue se déroule plusieurs centaines d’années avant le reste de la saga. Alors on le remplace. « On », c’est un trio qui se succède (si l’on est prêt à refaire le jeu trois fois afin d’en découvrir la « vraie » fin) pour tenter l’ascension d’une immense tour pleine de monstres, d’énigmes et de trésors. A chacun ses dons, ses compétences, son histoire et son style de jeu reposant, selon les cas, sur le combat rapproché ou la magie dans cette aventure aussi charmante qu’entêtante et plus ouverte que ce que son principe d’enfermement (dans une tour, donc) pourrait laisser supposer. Le héros, c’est celui qui s’efface pour nous laisser la (plus belle) place.
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En même temps
Et puis il y a le flamboyant Star Wars : Squadrons, le (très réussi) dernier jeu en date dérivé de la saga qui se focalise sur les combats spatiaux dans l’esprit des historiques X-Wing et Rogue Squadron, mais en refusant de choisir entre les deux camps qui s’affrontent, à savoir l’Empire et l’Alliance Rebelle. C’est le type même du jeu « en même temps » : on incarne les gentils et les méchants (qui, évidemment, puisque que c’est nous, ne le sont pas totalement), on tente des trucs dangereux avec notre vaisseau et nos lasers et on écoute le récit que le jeu en fait presque en direct à travers un mélange de consignes adressées à notre pilote du moment et de commentaires, comme pour nous prouver que tout ça est réel et important. Le héros de jeu vidéo, c’est celui dont on parle, et s’il n’y a personne d’autre pour le faire, c’est lui-même qui s’en chargera en premier spectateur de ses exploits. Foi de Super Mario numéro 23.
Crash Bandicoot 4 : It’s About Time (Toys For Bob / Activision), sur PS4 et Xbox One, de 50 à 70€
STAR WARS™: Squadrons (Motive Studios / Electronic Arts), sur PS4, Xbox One et Windows, environ 40€
Super Mario Bros 35 (Nintendo), sur Switch, inclus dans l’abonnement Nintendo Switch Online.
Ys Origin (Dotemu / Nihon Falcom), sur Switch, environ 20€. Egalement disponible sur PS4, PS Vita, Xbox One et Windows.
Et aussi :
« Electronic Super Joy 2«
Disponible sur Mac et PC depuis l’an dernier, la suite du sublimement cruel Electronic Super Joy arrive sur consoles pour nous faire à la fois beaucoup de mal et énormément de bien. Si son principe de jeu de plateforme en 2D dont la difficulté assez folle exige souvent de très (très) nombreuses tentatives avant de triompher de ses niveaux le rapproche de Super Meat Boy, son esprit aussi festif que facétieux et sa mise en scène hautement psychédélique fait d’Electronic Super Joy une expérience vraiment à part. Attention : allergiques à l’electro et aux couleurs criardes ainsi qu’aux gémissements suggestifs s’abstenir. Aux autres, on ne peut que conseiller cet épisode 2 à la fois plus varié et plus fin (dans la précision des sauts, le positionnement des checkpoints…) que le premier. Notons qu’il n’est pas du tout impossible que tout cette affaire soit aussi quelque peu politique.
Sur Switch et PS4, Michael Todd / Hard Copy Games, environ 10€. Egalement disponible sur Mac, Windows et Linux.
« Rip Them Off«
Repérés en 2017 avec le puzzle game Swim Out, les Messins de Lozange Lab persiste dans le jeu cérébral et la mise en scène stylisée, mais avec cette fois un parti pris satirique ouvertement affiché. Notre but dans Rip Them Off qui emprunte au genre du tower defense et rappelle un peu par son esprit les jeux du studio Tomorrow Corporation (Little Inferno, Human Resource Machine) : installer de manière stratégique nos boutiques dans une ville minimaliste aux formes géométriques afin de délester les passants (les « Dupes ») de leurs économies. Avec son ambiance aussi entêtante que ses commentaires en cas de triomphe comme d’échec de notre part sont piquants, Rip Them Off a presque tout bon. On regrettera juste un certain manque de clarté de son interface (par ailleurs très élégante) et une difficulté plutôt élevée d’emblée qui pourraient rebuter les moins motivés.
Sur Mac, Windows, Linux et iOS, Lozange Lab, de 4 à 7€ environ.
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