Reprise en version restaurée du deuxième long métrage d’André Téchiné : une histoire de France critique et affûtée, en forme de fresque familiale somptueusement stylisée.
Voir Souvenirs d’en France (1975) d’André Téchiné aujourd’hui produit un effet étrange, pas seulement d’étrangeté mais de ressemblance, de ressemblante étrangeté ; d’une certaine manière, tout y est du cinéma français : celui qui le précède, celui qui le suit, et celui qu’il pourrait bien être.
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Film instable à l’extrême
Il porte encore très bien son titre. Film instable à l’extrême, aussi original, et le restant avec les années, que saturé d’influences, dans les deux directions du temps, références et conséquences. Y défilent les souvenirs d’un avenir, dans le creux de la Nouvelle Vague ou de ses derniers reflux, le vrai début d’une Contre-Vague qui n’a pas fini de déferler.
Et film d’histoire par-dessus le marché, une histoire de la France (de 1936 à 1975, plus encore si on compte les flashbacks autour de la Première Guerre mondiale) dans une petite ville de province, avec ses repères, ses dates, ses vignettes et ses types, emportés dans une valse folle, une grande accélération elliptique, aussi déchaînée que régulière, à la fois dissonante et rythmée.
Quarante années d’histoire
C’est avant tout l’histoire de Berthe (Jeanne Moreau, brillant de toutes ses facettes, récapitulant mille rôles possibles, passés ou futurs, dans son soixante-et-onzième film), la lingère qui épouse un des fils du directeur de l’usine, et reprend au fil du temps la place que le patriarche laissera vacante, dirigeant la fabrique et la famille, en une destinée exemplaire et inquiétante, fusionnée à l’histoire collective – une tornade et une allégorie, une saga à elle toute seule.
Quarante années d’histoire y défilent sur son visage, le film ne décrivant, en sautant de l’un à l’autre, que des moments décisifs, des épisodes de crises (sentimentales, familiales, politiques, économiques) où Berthe exerce, par plaisir ou par devoir, son art du désir et du pouvoir, « entre petite et grande histoire », ce refrain français bien connu, et ici bien tenu.
Une théorie affolée sinon outrageuse
Actrice de ces deux histoires branchées en parallèle, Berthe-Jeanne y fait face à bien d’autres comédien.ne.s, en particulier Marie-France Pisier, dans un rôle de belle-sœur fantasque, jeune bourgeoise s’ennuyant de tant de bourgeoisie, où elle déploie des trésors de grâce et de marionnette.
C’est le mot, car les habitants de cette « en France » ont rarement été si pantins : célèbre directeur d’acteurs, Téchiné, dans ce deuxième long métrage, en livrait comme la théorie affolée, sinon carrément outrageuse, en des termes assez politiques.
Le parti-pris du grand-guignol
Qui tire les fils de cette histoire ? C’est la question générale du cinéma français, qu’un film dévalant à ce point les pentes du mythe national (du socialisme au fascisme, du gaullisme au premier néolibéralisme) ne s’évite pas de poser.
Il le fait en prenant le parti du grand-guignol (et de sa critique interne : « Foutaises, foutaises ! », pour ne pas mentionner une réplique culte, à la sortie d’un cinéma), tout en cherchant à faire affleurer, chez ses robots récitant du sous-texte, non seulement le grand plaisir du jeu, mais la vérité du sentiment, foutaise, ou ce qu’il reste à en sauver.
Cette tension fait de Souvenirs un pur prototype, et un vrai spectacle – théâtre d’images à explosion, laissant encore entrevoir des coulisses et des ficelles ravageuses, que le cinéma et la France qui suivront rejetteront à nouveau dans l’ombre, pour continuer leur petite histoire.
Souvenirs d’en France d’André Téchiné, avec Jeanne Moreau, Michel Auclair, Marie-France Pisier (Fr., 1975, 1 h 30, reprise)
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