Un film de chambre mélancolique et enlevé qui met en scène les souvenirs d’une femme qui aimait les hommes. Porté par l’urgence et le sens du romanesque du cinéaste.
L’année dernière, après une incursion du côté du film pour enfants avec ses gracieux Malheurs de Sophie en 2016, Christophe Honoré revenait à la base, au cœur. Du moins à ce qui, dans l’imaginaire, cimente ses films, en constitue la sève : des histoires d’amour tragiquement écourtées.
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Plaire, aimer et courir vite pouvait alors se lire comme le nouveau volume de ces récits d’agonie. A cette étoffe familière, Honoré greffait une note autobiographique. Plus archéologue des sensations que biographe appliqué, l’ancien étudiant rennais tapissait les murs de son film de fétiches adorés et ravivait l’odeur et la saveur d’un temps de ruines.
Sur l’écran, les souvenirs tronqués provoquaient la sensation, galvanisante, de pénétrer dans la chambre d’un garçon de 20 ans, pas encore tout à fait cinéaste, ni romancier.
L’exploration de l’antre mental du cinéaste
De cette émouvante invitation, Honoré a tiré la matière de son nouveau film. Cette fois, ce n’est plus seulement l’antre mental du cinéaste qu’il nous est permis d’explorer, mais celui de Maria (Chiara Mastroianni).
Installée dans un hôtel, après une rupture incertaine, en face du domicile conjugal qu’elle partage avec Richard (Benjamin Biolay), cette professeure de droit voudrait se retirer du monde, réfléchir à sa vie et au désir consumé de son couple amoché.
Comble de l’ironie, à peine l’épaisse moquette de cette chambre 212 foulée, ses souvenirs – portant les traits de Vincent Lacoste (Richard, jeune), de Stéphane Roger (sa « volonté » à la tête d’Aznavour) et d’une ribambelle d’anciens amants aux gueules d’apollons – se pressent à la porte.
Agile et emporté, drôle et léger
Comédie de remariage, abreuvée des éclatantes histoires de mort et de renaissance amoureuses qui ont fait la gloire du cinéma américain (Howard Hawks, Ernst Lubitsch, Leo McCarey ou Woody Allen), Chambre 212 a tout de l’anti-Plaire, aimer et courir vite.
Agile et emporté, drôle et léger, gouverné par la torpeur mi-amusée, mi-inquiète de son héroïne tempétueuse, habillé d’une artificialité nouvelle (le studio contre les habituels décors naturels), le film, habité par une forme d’urgence, brise la ronde funèbre des œuvres précédentes d’Honoré, en adoucit les angles, en apaise les brûlures.
Pourtant, de l’un à l’autre, c’est le même geste qui se perpétue et se creuse, car il s’agit toujours d’extirper de l’oubli les éclats disloqués d’une vie, d’invoquer les joies et les douleurs passées pour mieux les enterrer.
Dans cette chambre d’hôtel filmée comme une maison de poupées, les revenants surgissent en domino dans le fracas des claquements de porte, et chaque pièce, d’où cette femme qui aimait les hommes observe le spectacle de sa vie, se dresse comme l’estrade psychanalytique d’un règlement de comptes intime.
La chambre à coucher, un genre en soi
La chambre à coucher a toujours occupé une place centrale chez Honoré et dans le cinéma français, qui, grâce aux amoureux allongés des films de la Nouvelle Vague, en a fait un genre en soi. Ces quelques mètres carrés qui logent une intimité par usage dérobée, brusquement offerte à nos yeux avides, ce bout d’espace et abri secret semble contenir en son sein tous les ingrédients de son cinéma.
Rien d’étonnant alors à ce que cette Chambre 212 en restitue les armatures, en cartographie les motifs, les influences (légèrement déplacées ici puisque davantage aimantées par les figures d’Alain Resnais et de Bertrand Blier que de Jacques Demy), pour saisir, au plus près, la petite musique interne de son auteur.
Une rue de Paris, un appartement, une chambre, des hommes et des femmes qui s’aiment ou se sont aimés, des âmes perdues ou ressuscitées et des volutes de fumée à n’en plus finir… Sur cette scène immuable, encore des milliers d’histoires naîtront.
La petite mythologie d’un monde
Le romanesque est partout, semble murmurer le film, qui fabrique, avec joie et modestie, la petite mythologie d’un monde. Au centre de ce territoire se tient sa reine, Chiara Mastroianni, dont le génie comique avait rarement atteint une telle puissance.
« Je suis un nombre d’hommes dont tu ne peux avoir idée », confie Maria à l’une de ses innombrables conquêtes. Résonne alors toute la bouleversante mélodie d’une œuvre profondément endeuillée, mais dont les épisodes, jamais rétrécis par le poids de la perte, ouvrent toujours vers un ailleurs, énigmatique et incertain, mais bel et bien là.
Chambre 212 de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin, Benjamin Biolay (Fr., Lux., Bel., 2019, 1 h 27)
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