Se débarrasser de ses règles, grâce à la prise en continu d’une contraception hormonale, c’est possible et sans danger. Une pratique qui pourrait révolutionner la vie de milliers de femmes et qui n’est pourtant pas si répandue.
De la puberté à la ménopause, une fois par mois, avoir ses règles est un passage obligé pour toutes les femmes. Vraiment ? Pas si sûr. Il est possible, et ce depuis que la contraception hormonale existe, de s’en débarrasser temporairement ou ad vitam aeternam si c’est notre choix. Pour cela, il suffit de prendre un contraceptif hormonal sans en interrompre la prise une semaine dans le mois. Une technique qui existe depuis plus de 40 ans mais qui reste relativement peu répandue chez les utilisatrices de la pilule. Pourtant, toute période de menstruations vient indéniablement avec son lot de contraintes.
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Que la gêne soit d’ordre matériel, financière ou corporelle, toute femme en âge de procréer l’a un jour constatée. Si relativement peu de femmes se saisissent de l’opportunité d’interrompre ce mécanisme biologique, c’est en grande partie parce que ne pas avoir ses règles continu a être perçu comme quelque chose de risqué. Alors même que la plupart des médecins et scientifiques s’accordent à dire que cela ne présente aucun risque, voire peut-être bénéfique pour les femmes atteintes d’endométriose. Mais quels sont les intérêts poussant à interrompre ce mécanisme biologique ? Des femmes de tous âges racontent aux Inrocks ce qui les a décidées à en finir avec leurs règles.
« Plus à repérer ses cycles quand on part en vacances, plus d’inconfort, c’est la liberté »
Pour Marine*, aujourd’hui âgée de 30 ans qui prend la pilule en continu depuis ses 18 ans, l’inconfort qu’elle ressentait en portant des protections a joué un grand rôle dans sa décision. Aujourd’hui, elle exprime un véritable soulagement : « Ça fait ça de moins à penser ! ça revenait souvent, c’était contraignant, en plus, je trouve que ce qu’on nous propose en termes de protection ce n’est pas génial. Même les nouvelles. Avec la cup il faut prendre le coup de main, avec les culottes menstruelles il faut faire des machines exprès… »
Et elle n’est pas la seule à le penser. Coralie, quarantenaire et maman de deux enfants, se sent, elle aussi, débarrassée à l’idée de ne plus avoir à se préoccuper des protections périodiques. « Plus à repérer ses cycles quand on part en vacances, plus d’inconfort, c’est la liberté », se réjouit-elle à son tour.
En effet, en plus d’obliger les femmes à toujours avoir tampons, serviettes ou cup sur elles « au cas où » – sous peine de tacher leurs vêtements et de leur occasionner, au passage, un grand moment de malaise, puisque les règles, en 2019 restent un tabou -, ou d’être particulièrement inconfortables, les protections dites « hygiéniques » ont un coût.
Pendant les 30 à 40 années où une femme sera menstruée, à raison de 18 euros par mois, elle aura dépensé environ 8 100 euros dans les protections selon une étude britannique de 2015. Une dépense difficile à assumer pour les femmes en situation de grande précarité, aussi appelée « précarité menstruelle« . Résultat : certaines femmes restent enfermées chez elles durant leurs règles – au risque de manquer l’école – ou bricolent des protections, pas toujours efficaces.
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Etudiantes, travailleuses pauvres, sans-abri… près de 1,7 million de Françaises pourraient ainsi pallier à ce problème budgétaire en prenant une contraception hormonale en continu.
Ce fut notamment le cas pour Anaïs. Agée de 17 ans, pour cette lycéenne, se libérer de ses règles a aussi signifié libérer une part non négligeable de son budget. « Ne plus les avoir c’est très arrangeant dans l’absolu mais aussi au niveau économique », se réjouit-elle.
Pour d’autres, interrompre ce processus inhérent à l’organisme féminin, signifie simplement être libre de pouvoir organiser leur vie comme elles l’entendent. Raphaëlle confie par exemple que l’abondance de son cycle lui posait des problématiques logistiques très difficiles à gérer dont elle n’a désormais plus à se préoccuper dans sa vie quotidienne. « J’avais des règles hémorragiques, témoigne-t-elle, je ne les arrête pas tout le temps, je fais une pause tous les quatre ou cinq mois mais ça me permet de choisir quand je veux les avoir ». Pour d’autres, il peut s’agir d’un véritable traitement palliatif.
Un traitement palliatif de l’endométriose
Tara souffrait de règles très douloureuses et d’anémie pendant cette période de son cycle. Elle s’est fait poser un stérilet hormonal au mois de juillet. Deux mois après, la jeune femme assure déjà : « maintenant, je n’y pense plus du tout ». Même scénario pour Morgann, désormais pourvue du même dispositif contraceptif : « mes règles duraient une semaine et étaient très abondantes, c’était exténuant et très contraignant pour ma vie sexuelle. Même si ce n’est pas naturel, je suis bien comme ça et j’aurais vraiment du mal à y revenir », poursuit-elle.
Ce type de contraception peut même être un allié pour les femmes atteintes d’endométriose – une maladie qui provoque des détachements de cellules de l’endomètre qui migrent en dehors de la cavité utérine et colonisent d’autres organes provoquant des douleurs très intenses – comme l’explique aux Inrocks Martin Winckler, médecin et auteur de l’ouvrage Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles… sans jamais avoir osé le demander ». « Stopper leurs règles, c‘est un moyen de les empêcher d’avoir mal et aussi d’arrêter le développement des kystes endométriaux chez les jeunes femmes. Ce n’est pas un traitement et il faut faire attention à la durée parce qu’à terme, certains médicaments peuvent provoquer des méningiomes (tumeurs bénignes du cerveau) chez les femmes atteintes d’endométriose, mais c’est palliatif. »
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Par ailleurs, « ce mode de prise peut constituer un véritable traitement pour les femmes proches de la ménopause qui se mettent à saigner de manière abondante et irrégulière », précise le médecin. Mais comment fonctionne au juste cette contraception hormonale en continu ?
Pour répondre à cette question, Nasrine Callet – gynécologue et oncologue à l’Institut Curie-Hôpital René Huguenin qui milite pour une prise en charge plus humaine des patientes – souligne la nécessité de définir, en premier lieu, ce que sont les règles. « Pendant le cycle, la paroi intérieure de l’utérus ou endomètre s’épaissit sous l’influence des hormones pour accueillir l’ovule », explique-t-elle. Les règles interviennent à la fin de ce cycle s’il n’y a pas de grossesse et correspondent à l’évacuation de la couche supérieure de l’endomètre. « Elles n’ont pas d’autre fonction que de signaler la fin d’un cycle », précise Martin Winckler.
Le médecin ajoute que lorsqu’une femme utilise une contraception hormonale, « le cerveau se met en état de grossesse ». C’est-à-dire que l’ovulation n’a plus lieu, sans elle, pas d’épaississement important de l’endomètre et donc pas de règles. Les saignements qui apparaissent entre deux plaquettes de pilule ne sont que des hémorragies de privation liés à l’arrêt de la prise d’hormones. « Ils ne sont pas du tout obligatoires et ne servent à rien. Donc, c’est parfaitement logique de prendre sa pilule sans l’arrêter et en plus ce n’est absolument pas dangereux », ajoute-t-il.
Un mode de prise qui ne représente aucun danger ?
Il existe des inquiétudes encore assez prégnantes sur l’absence de règles qui empêchent parfois certaines de « sauter le pas » vers la contraception continue. Notamment, l’idée selon laquelle avoir ses règles permettrait de « nettoyer » ou de « purifier » l’organisme, et ne pas les avoir représenterait un danger. Tara raconte par exemple que certaines de ses amies étaient « inquiètes » à l’idée qu’elle n’ait plus ses règles. Marine confie de son côté que la pilule en continu lui a été prescrite par sa gynécologue. A l’époque, l’adolescente se renseigne sur le sujet via Internet : « On disait que ce n’était pas dangereux de le faire de temps en temps mais qu’il fallait que cela reste exceptionnel », se souvient-elle.
Martin Winckler répond de manière très claire à ces préoccupations : « Cela fait environ 40 ans que ça se fait. C’est une méthode presque aussi vieille que la pilule elle-même, d’autant plus que quand elle a été inventée on ne l’arrêtait pas une semaine par mois, on la prenait en continu. Si une femme veut avoir ses règles ça ne se discute pas. Certaines disent ‘je veux avoir mes règles sinon j’ai l’impression que je ne me nettoie pas’. Je le respecte tout à fait ça mais ce n’est pas une vision scientifique, les règles n’ont aucune fonction d’évacuation. » Il ajoute que la semaine d’arrêt a été mise en place par la suite pour indiquer aux femmes une éventuelle grossesse.
En janvier dernier, John Guillebaud, professeur en santé reproductive, avançait auprès du Télégraph une autre raison, plus surprenante, à l’origine de cette pause de sept jours. « John Rock avait conçu cette pause en espérant que le Pape accepte la pilule et rende son usage acceptable par des Catholiques. Rock pensait que si cela imitait le cycle naturel, alors le Pape l’accepterait », déclarait-il auprès du journal. Il n’en fut rien. Toujours est-il que la pilule a bel et bien été pensée dès le départ pour être prise en continu. Un avis scientifique publié en janvier 2019 par le Collège des gynécologues britannique souligne que la prise d’hormones en continue, induisant l’absence de règles, ne présente aucun risque.
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Parfois, ce sont les médecins eux-mêmes qui diffusent l’idée selon laquelle ce procédé serait néfaste. Bien que de plus en plus de médecins soient tout à fait enclins à prescrire une contraception continue, « et plus ils sont jeunes plus il y en a », assure Martin Winckler, d’autres y sont toujours opposés. « La structure du monde médical est tellement immobiliste que beaucoup ne savent pas que c’est possible ou ne veulent pas changer d’avis alors que l’on sait depuis très longtemps que ça n’a aucune incidence. La pilule c’est un médicament destiné à protéger les femmes d’une grossesse non désirée donc c’est déjà un médicament pour améliorer leur vie. Je ne vois pas pourquoi on ne l’améliorerait pas encore en supprimant leurs règles si elles le désirent, elles ne servent à rien puisque justement, une grossesse est impossible. »
Morgann a été confrontée à l’une de ces gynécologues opposées à la prise en continu d’une contraception. « Pour ça il faudra que vous soyez enceinte ou ménopausée », lui a répondu la professionnelle de santé lors de la consultation. Elle a ensuite trouvé un gynécologue, plus jeune, qui lui a proposé le stérilet aux hormones dont elle se satisfait depuis. Les autres femmes que nous avons interviewées sont toutes suivies par un médecin qui a directement accédé à leur demande, signe que l’idée fait tout de même son chemin. Si la pilule reste le moyen de contraception le plus répandu chez les Françaises en âge de procréer, d’autres dispositifs permettent également de ne plus avoir ses règles. Qu’il s’agisse du stérilet hormonal, de l’implant, des patchs ou de l’anneau vaginal, chacune peut trouver, en discutant avec son médecin, le moyen qui sera plus adapté pour elle.
*Ce prénom a été modifié à la demande de notre interlocutrice
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