Entre tableau familial et portrait de femme, “Mytho” réussit à parcourir un imaginaire contemporain dans le sillage d’une “desperate housewife” à la française qui se libère en trompant son monde.
Découverte à travers ses premiers épisodes pendant le Festival Séries Mania au printemps dernier, Mytho confirme sur la longueur son statut singulier, sa verve à la fois comique et inquiétante, son désir de sortir des cadres. C’est à la fois une bonne nouvelle (comment bouder son plaisir ?) et la confirmation d’une pauvreté manifeste de la fiction hexagonale dans son versant le plus assoiffé d’expérimentation.
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La série écrite par Anne Berest et réalisée par Fabrice Gobert cache une forêt créative peu épanouie, pas beaucoup plus puissante en tous les cas que lorsque Les Revenants (réalisée par Gobert) secouait le cocotier en début de décennie. Il faudra sans doute apprendre à ne voir débarquer ce genre d’objet original qu’une fois ou deux par an, trop peu souvent à l’échelle de ce qu’on aimerait recevoir de l’époque.
Mytho raconte l’histoire d’une femme (Marina Hands) qui s’ennuie. Ce n’est pas le pitch initial, mais c’est sans doute le plus vrai. Vouée à une certaine invisibilité quotidienne, charge mentale comprise, elle n’en peut plus de son boulot d’assureuse et de l’existence pavillonnaire/familiale qui va avec – trois enfants, un mari joué par l’émouvant Mathieu Demy.
Alors Elvira se décharge, au sens littéral du terme. Elle annonce à son mec qui la trompe et à ses enfants qui n’ont rien demandé qu’elle est atteinte d’un cancer. La mort se profile, ils n’ont qu’à se débrouiller avec l’idée de sa disparition. C’est faux, mais elle n’a rien à perdre.
“Mytho” ne s’interdit pas des passages stylés
Débute alors une comédie de la dissimulation assez habile, où cette femme longtemps voûtée apprend enfin à se tenir droite et à jouir de son nouveau pouvoir. C’est l’aspect le plus fort de la série, cette façon de regarder pivoter un personnage quand il se défait des oripeaux sociaux, dans une société qui a renoncé à résister. La menteuse Elvira s’empare de cette joie nouvelle avec fantaisie, et son goût pour la liberté semble infuser la matière de la série.
Référentielle – notamment autour de Desperate Housewives –, Mytho s’amuse, ne s’interdit pas des passages stylés, comme cette séquence collective du deuxième épisode enrobée par la chanson titre de Stand by Me, qui exhale le goût du classicisme sériel à l’américaine. Le plaisir de jouer avec des codes universels dans un décor français reste palpable, tout comme la volonté d’arpenter un imaginaire contemporain, par exemple autour des stéréotypes de genre.
On pense notamment à l’une des trois filles d’Elvira, née garçon, qui tente d’affirmer son désir de séduction. Même si très vite, et c’est un peu dommage, une nouvelle piste se profile pour elle comme pour ses deux sœurs. Une forme de timidité l’emporte.
Au fond, Mytho hésite toujours un peu entre le portrait de groupe d’une famille qui explose et celui, plus resserré, de son héroïne en plein bouleversement. Mais ce n’est pas un problème rédhibitoire, tant l’énergie reste constante au fil des six épisodes, y compris quand il s’agit de dépasser l’imposture. Autour d’Elvira, le petit théâtre de la vie se teinte d’une certaine dureté, mais surtout d’une forme d’irréalité, comme si cette héroïne révélait l’absurdité de nos constructions collectives.
Le besoin de croire en quelque chose est prégnant, alors pourquoi pas croire en son propre mensonge ? C’est un pari risqué, qui emmène d’ailleurs Elvira dans des contrées dangereuses. C’est l’aspect le plus sombre de Mytho, où l’on retrouve nettement la patte du cinéaste de Simon Werner a disparu, obsédé par la géométrie oppressante des décors banals et par la possibilité que l’inquiétude se glisse dans la vie de tous les jours.
Elvira déraille-t-elle, ou bien est-ce le monde ? La question se pose. Il suffit de voir comment les siens surgissent tels des zombies incapables d’émotions pour comprendre que la comédie pourrait laisser très vite sa place à un élan mortifère. Dans Mytho, la famille comme espace symbolique est une matrice dangereuse. Le paradoxe fructueux de la série se trouve là : elle s’appuie sur cette structure et son imaginaire de fiction pour mieux en cerner les limites et la nécessité, parfois, d’aller respirer seul.e dans la nuit.
Mytho à partir du 10 octobre sur Arte
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