La Conférence du Barreau de Paris fête ses 200 ans cette année. Cette institution promeut chaque années douze jeunes avocats qui devront se charger des crimes les plus graves commis par les gens les plus pauvres. Plongée dans une confrérie aussi méconnue du grand public qu’incontournable au Palais.
Il se lève. Les mains fermement vissées sur le pupitre de la salle des Criées du Palais de Justice pleine à craquer. Le silence se fait. « Je lance cet appel à Jean Lassalle et lui demande de prendre ses responsabilité au nom de la République, au nom de la France. » Rires frénétiques de l’audience. Scène surréaliste. Le public hilare n’a pas l’habitude d’entendre se laisser aller à l’ironie ce personnage si connu des Français, crâne dégarni, bouche fine et lunettes strictes.
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Cet homme, c’est Bernard Cazeneuve. Ce 19 juin 2018, détendu, hors caméras, il se fend d’un second degré quasi-impensable devant tout autre auditoire que celui-ci. L’ancien ministre de l’intérieur, à nouveau avocat, est l’invité d’honneur de la conférence Berryer rituel oratoire mensuel, organisé par douze avocats représentant la crème de la crème du Barreau de Paris.
Ces derniers lui ont taillé un costard empreint de respect. « Nous n’oublions pas. Vous êtes le ministre qui nous aura rassurés dans nos plus grands moments de peur et d’angoisse. Ce que nous sommes individuellement est moins que ce pourquoi nous avons été élus. Pas merci pour l’état d’urgence. Mais merci pour votre défense. »
Tout est résumé dans ces mots lourds de sens. Car le sacerdoce d’un mandat, le terrorisme, la défense sont le pain quotidien de ces douze jeunes loups qui, toutes dents sorties, entourent l’ex-premier ministre. Le public qui applaudit à tout rompre ne s’y trompe pas. La plupart, étudiants en droit ou jeunes avocats parisiens, n’est pas venu acclamer l’homme politique mais bien cette élite de la robe qui mène la vie dont ils rêveraient.
« Un pied dans le caviar, l’autre dans la merde »
Quelques mois plus tard, dans un troquet de Pigalle, Vincent Lorenzi cherche ses mots en tirant sur sa clope. Au front depuis un an, il a les traits tirés. « Dès le début, on te fait comprendre que ta vie d’avant n’était pas la vraie vie. » La vraie vie, « éreintante et à certains égards destructrice », cet avocat croque dedans depuis qu’il a été élu par ses « pères » en décembre 2017 avec les onze qui sont devenus ses « frères et sœurs ». Pour encore quelques semaines, ils sont les Secrétaires de la Conférence du Barreau de Paris. A vie, ils en seront des Anciens.
Chaque année, douze jeunes avocats sont propulsés au cœur de la justice pénale d’urgence et du sérail du barreau parisien. Le matin en prison pour s’entretenir avec un mis en examen, le soir au Palais pour trinquer avec le gratin parisien. Un an à parcourir les comparutions immédiates, les permanences pénales et les cocktails mondains. Bref, pendant cette année de Conférence du Barreau de Paris, « c’est un pied dans le caviar, l’autre dans la merde ».
Ceux qui intègrent cette confrérie bicentenaire, aussi méconnue du grand public qu’incontournable au Palais, deviennent les représentants du jeune barreau parisien. A ce titre, ils accompagnent le bâtonnier dans ses déplacements et sont de toutes les soirées. Ils organisent les conférences Berryer où se pressent leurs soupirants, fascinés par leur éloquence et leur stature. Du jour au lendemain, ils deviennent « les rockstars » du barreau, constamment courtisés et sollicités. Voilà pour le caviar.
Quant à l’autre matière dans laquelle ils mettent un pied, c’est leur raison d’être : la défense pénale d’urgence. Les Secrétaires en poste, jouissent de monopoles dont les renvois de la 23e chambre du tribunal correctionnel (les commissions d’office) et, graal de tout jeune pénaliste, les mises en examen criminelles et terroristes.
Au moindre crime, viol, meurtre, braquage à Paris, la défense des auteurs présumés n’ayant pas d’avocat leur incombe automatiquement. Ils « monteront » aussi sur de plus gros dossiers, appelés en renfort par des anciens qui leur offriront leurs lumières le temps d’une affaire. Et, seuls ou à deux, ils seront envoyés aux « assises expresses » remplacer l’avocat qu’un client aura débarqué à quelques semaines de son procès.
« Franc-maçonnerie du Barreau »
Pour faire ce grand-écart, les aspirants doivent avoir moins de 35 ans, moins de cinq ans d’exercice et surtout réussir les trois tours du concours d’éloquence de la Conférence du Barreau de Paris où s’affrontent jusqu’à deux cent orateurs sur des sujets comme « Miroir, suis-je la plus belle ? ». Les candidats devront porter le verbe haut pour « embarquer » les Secrétaires. « Ce n’est pas qu’un beau discours, c’est aussi répondre intelligemment au sujet. » Chaque élu se verra attribuer un numéro de 1 à 12 correspondant à un poste. Les 1er et 2e seront les orateurs de rentrée, le 11e le gardien des traditions, le 12e le comptable… Les nouveaux deviendront alors les fils/filles et les petits-fils/filles des promotions précédentes, comme ils s’appellent encore entre eux des années après.
Un rituel qui souffle ses deux cents bougies cette année. Au-delà des prétoires, la Conférence fût un temps le vivier politiques inépuisable des républiques précédentes. Trois présidents sous la IIIe, des centaines de députés et des dizaines de ministres sous les trois dernières républiques confondues. Désormais, elle compte parmi ses rangs certains des plus grands pénalistes français passés et présents. Peu d’institution française peuvent se targuer d’une telle longévité couplée à un aussi beau palmarès.
« Franc-maçonnerie du Barreau », comme le disent certains en ne riant qu’à moitié, la Conférence ouvre instantanément les portes d’un réseau aussi vaste que prestigieux. Une fois élu, se dessine une filiation quasi-charnelle entre les promotions mais aussi entre les lignées, des 1er aux 12e qui deviennent les descendants naturels des ténors les ayant précédés, qui les aideront sans hésiter.
« Mieux vaut être solide »
« C’est le passage obligé des ambitieux, de ceux qui en veulent », résume François Gibault, monstre sacré de l’institution depuis 1962, « elle vous place au dessus du panier. C’est une rampe de lancement. » Aujourd’hui, dans un Barreau où près de 30000 avocats jouent des coudes, pour ceux n’ayant pas le patronyme d’un ancien bâtonnier, la Conférence est plus que jamais le moyen de se faire remarquer et de prendre du galon. « Un an de Conférence, c’est cinq ans d’expérience », résume le pénaliste Jean-Marc Fedida, promotion 1993. « C’est du pénal et de l’humain à très haute fréquence, ajoute Moad Nefati, 11e secrétaire cette année. On ne sort jamais indemne d’une année de Conférence. » « Mieux vaut être solide, conclut Me Lorenzi. Parce qu’il faut convaincre tout le monde. »
A commencer par les clients qui les prennent pour les perdreaux de l’année. Car s’ils sont adulés dans leur microcosme, pour le reste du monde, les Secrétaires sont des commis d’office. Soit, dans l’esprit général, de mauvais avocats. « La Conférence, ça ne dit rien aux délinquants, sourit Me Lorenzi. On a beau leur expliquer qu’on a passé un concours, qu’on plaide bien, ils s’en foutent. »
Quand un mis en examen part en détention provisoire, l’une des premières choses qu’on lui demande derrière les barreaux est le nom de son avocat. « Un commis d’office ? Faut que tu changes. » Les Secrétaires doivent batailler pour garder leurs clients, se précipiter en prison pour montrer leur trogne et parfois « faire monter en renfort » un ancien plus capé pour gagner en crédibilité.
Du pénal « vraiment sale »
En 2012, Benjamin Mathieu, 2e secrétaire, récupère un vieux de la vieille. Un « beau mec » sans le sou. Braqueur à ses heures, l’homme est recouvreur de dettes, habitué à cogner les débiteurs avant de les emmener faire un tour dans le coffre de sa voiture. Au parloir, l’avocat, visage poupon et dégaine d’étudiant de prépa, décide d’annoncer la couleur : « Moi j’ai la dalle, tout ce qu’il faut faire, on va le faire. » Un lien se noue alors entre le novice de 26 ans et le caïd quinquagénaire. « Il m’a formé à la compréhension de la délinquance. C’est aussi ça la Conférence. Une plongée dans du pénal dur, vraiment sale. » Viols glauques, homicides sanglants, attentats meurtriers sont le pain quotidien de ces jeunes avocats.
Quitte à prendre parfois l’allure d’une course à l’échalote. « C’est vraiment beau un dossier d’homicide », souffle un ancien les yeux brillants. Me Bertrand Périer, élu en 2003, devenu depuis la superstar de l’éloquence, se souvient des longues soirées passées aux permanences pénales que l’on se raconte autour d’un verre entre « frères » et « soeurs » de Conférence. Souvent tombe la question : « T’as eu quoi ? Un viol ? Ah pas de bol, tout le monde ne peut pas avoir un meurtre. »
La famille
Cette intensité crée des liens à vie entre les secrétaires. Une solidarité indéfectible s’installe entre tous ceux qui, une année de leur vie, ont vécu ce mandat. On se reconnait entre vieux soldats de la défense pénale d’urgence. Il y a une trentaine d’années, grisés après un diner entre premiers secrétaires, Isorni et Vergès, respectivement tête de file des promotions 1935 et 1956, seraient sortis bras dessus bras dessous et s’exclamèrent « Enfin, j’ai trouvé un véritable avocat ! » L’avocat de la terreur entretenait un rapport intime à l’institution. Toute sa carrière, il a distribué des dossiers aux 1er secrétaires, ses petits-fils de Conférence. Une pratique courante entre lignées qui permet aux jeunes de « croquer ».
En 1990, son année de Conférence, Pierre-Olivier Sur est appelé sur l’affaire des frères Chaumet, deux bijoutiers-escrocs qui défraient la chronique. Il y monte par la grâce de « deux ex-12e qui ont eu le réflexe pavlovien d’appeler le 12e en poste ». L’ancien bâtonnier ne tergiverse pas. « Je lui dois tout. Elle m’a offert mes premiers dossiers et une famille. Ça n’a pas de prix. » Elle lui a également, d’une certaine manière, donné le bâtonnat plus de vingt ans après. Car les anciens secrétaires sont « de grands électeurs » dont il est de bon aloi d’avoir les votes lors de l’élection. « C’est 400 voix d’un coup, décrypte un ancien-bâtonnier. Et la famille vote généralement pour l’un des siens. »
Un rituel initiatique
Cette famille, on y entre lors d’une soirée que tous racontent avec des yeux d’enfant. Longtemps simple dîner, elle a depuis pris les allures d’un passage sous le bandeau, dans un grand cabinet parisien prêté par des anciens ou par ceux qui veulent s’en faire bien voir, souvent candidats au bâtonnat.
Prévenus en pleine nuit pour rejoindre le lieu-dit, les nouveaux élus sont d’abord chahutés dans le noir avant que lumière se fasse et que les anciens les portent aux nues en scandant leur nom. « C’est une sorte d’accouchement, décrit l’un d’entre eux. Un rituel initiatique. »
Il y a quelques années, lors d’une d’intronisation dans le cabinet Farthouat, les secrétaires arrosent les murs de champagnes et dévastent en partie l’entrée. « Ils se sont comportés comme des phacochères, déplore un témoin de la scène. La joie n’autorise pas tout. »
« Ils étaient assez excités « , euphémise Jean-René Farthouat, 84 ans, figure de commandeur de l’institution. Le patriarche se fend d’une facture pour la réfections des peintures. Mais plutôt qu’à l’Ordre, il l’adresse directement à la Conférence. Le linge sale se lave en famille. Si pour certains, la soirée s’est « un peu dévoyée « , pour tous elle reste « inoubliable « . « A partir de là, tu n’es plus jamais un avocat ordinaire », assure Me Lorenzi.
Un tour dans les facs de droit suffit à mesurer l’aura des Secrétaires. Assister à une conférence Berryer finit de s’en convaincre. Dans ces joutes oratoires, l’éloquence sert l’humour et la cruauté. Autour d’un invité de prestige, un « agneau sacrificiel » se présente pour répondre à un sujet qu’il développe pendant dix minutes…. avant de se faire démolir tour à tour par les secrétaires qui improvisent une critique, piquante et parfois méchante. Sous les hourras d’un public acquis à leur cause.
Bref, cette année là ils sont « les rois de Paris », selon un ancien, 27 ans lors de son année d’élection. Lui reconnaît avoir eu du mal à s’en remettre. « On se prend pour des gros bras. La prison, les juges, les Berryer, les soirées… Ça ne s’arrête jamais. Au risque de devenir un peu con. » Un autre nuance. « Les paillettes contribuent au fantasme. Mais quand on finit à 3h du mat’ avec un mec qui hurle de douleur parce qu’on l’envoie au trou, là personne ne vient nous applaudir. »
Le cataclysme de 2005
Mais ces paillettes font grincer les dents des avocats parisiens ordinaires, tous cotisants au conséquent budget de l’Ordre dont une partie échoit à la Conférence. Pendant longtemps, en sus des monopoles criminels, les Secrétaires ont mené la belle vie. « C’était le temps de la confiance, pas de la transparence », justifie dans un demi-sourire l’ancien-bâtonnier Pierre-Olivier Sur. « On a été gâtés, reconnaît Me Périer. Rien ne le justifiait. On avait de beaux dossiers, pas la peine d’avoir de beaux hôtels. »
La gronde reste larvée jusqu’au « cataclysme de 2005 « . Cette année-là, les délibérations sont à Ibiza ou en Patagonie, les soirées en boites de stripteases et les nuits dans des hôtels 5 étoiles. Résultat, une ardoise de 70 000€ et une image désastreuse. « Ils ont failli tuer le truc », soupire un ancien.
Tout est à refaire. Les suivants sont priés de faire profil bas et de justifier rubis sur ongle leurs dépenses. Les délibérations se font désormais en France, les déplacements en classe éco et rarement à douze. Leur budget s’élève tout de même à 180 000€. « Ils sont la vitrine du jeune barreau avec un rôle de représentation à l’international, c’est justifié », tranche le vice-bâtonnier, Basile Ader. Encore un ancien.
Un nouveau souffle
Après cet épisode, « il y a eu le désir d’engager la Conférence comme figure de proue de la défense des libertés« , relate Me Périer. Archibald Celeyron, promo 2014, acquiesce. « Elle a su mener des combats qui l’ont rendue intouchable ». Les Secrétaires ont récemment été à l’avant-garde de plusieurs réformes d’importance. En 2010, ils sont les auteurs conjoints des douze premières QPC de l’histoire qui aboutiront à la réforme de la garde-à-vue permettant à l’avocat d’assister son client tout au long de la procédure. Cette année, ils ont mené la fronde contre les box vitrés du nouveau Palais de Justice.
« Dernièrement, c’est le terrorisme qui lui a redonné un coup de fouet », pense Me Celeyron, qui a lui-même crevé le prétoire, trois ans après son année de Conférence, lors d’une plaidoirie très remarquée au procès d’Abdelkadher Merah. Attentats, départs et retours du djihad entraînent avec eux une cohorte de mises en examens dont les secrétaires ont le monopole. Au niveau national cette fois-ci. Pendant une demi décennie, de 2012 à 2017, ils ont été les artisans de ce nouveau contentieux où tout était à faire.
Un dimanche de mars 2012, Anne-Sophie Laguens ouvre le bal. Elle est de permanence lorsqu’on l’appelle pour une affaire sensible : assister le frère du tueur de Toulouse, Mohamed Merah. A sa sortie de garde-à-vue, l’avocate est cernée par les caméras qui la pressent de parler de la première tuerie de masse que connait la France depuis près de vingt ans. Une exposition pas facile à assumer à 27 ans. Pour faire face, elle fait monter sur l’affaire un ancien de poids, comme le veut la coutume entre secrétaires pour les dossiers brûlants. L’épisode engage le retour de la Conférence sur la scène médiatique.
L’élite du barreau face au terrorisme
De ces années sombres, les promotions 2015 et 2016 connaissent l’apogée. Ceux de 2015 commencent l’année sur les attentats de Charlie Hebdo et la terminent sur ceux du 13-Novembre, avant de passer la main à leurs « enfants » de 2016 qui vivront Saint-Etienne du Rouvray, Magnanville et Nice.
En décembre 2015, les secrétaires sont réunis par les juges antiterroristes et les procureurs. « On est dans le même bateau, pas adversaires « , se disent-ils en substance. « Ils ont été rassurés de nous avoir en interlocuteurs, il y avait comme un label AOP », croient savoir les Douze d’alors.
Margot Pugliese, 1ère secrétaire en 2016 se souvient du rapport particulier qu’ils ont lié. « Les juges savent qu’on ne soutient pas n’importe quoi. On ne dira pas qu’un client n’est pas radicalisé s’il l’est. «
Un temps, les magistrats craignent la stratégie de rupture, théorisée par leur aïeul, Jacques Vergès. « Pour lui, le procès était la continuation de la guerre à l’audience. L’avocat devient un combattant », décrypte Henri Leclerc, lui aussi, un ancien.
A l’ombre de la bibliothèque de Raymond Poincaré qui orne son bureau -là encore un ancien secrétaire- il se rappelle de de son année de Conférence, en 1962. Lui, la figure de la gauche et des droits de l’homme avait dû défendre un membre de l’OAS. « J’avais beau combattre ses idées, je le défendais lui. Mais ses arguments étaient audibles, comme pour les Basques ou les Corses. Aujourd’hui, les djihadistes ne sont pas compréhensibles. » Et l’immense pénaliste d’adouber ses descendants. « Ils sont face à une cause indéfendable et ils en défendent les gens. Ils ont réussi et il fallait être très bons. C’est bien que le barreau envoie son élite. »
En coulisses, la défense de Salah Abdeslam
Si certains se sont éloignés de cette matière par peur de l’étiquette, d’autres en ont fait leur spécialité. Les « avocats de djihadistes » sont en grande majorité d’anciens secrétaires. « Ça m’est arrivé en pleine gueule. J’ai foncé », se souvient Xavier Nogueras, promo 2013. Avec plusieurs dizaines de dossiers au compteur, il fait aujourd’hui figure d’autorité sur la question. « Tout ça c’est grâce à la Conf, assure-t-il. Elle marque le premier jour du reste de votre vie. »
Cette élite, l’ancien secrétaire et vice-bâtonnier Basile Ader, entend bien la faire monter sur un autre gros dossier. Le plus gros. La défense de Salah Abdeslam, unique survivant du commando du 13-Novembre. « Je suis en train de me battre pour qu’il soit défendu, annonce-t-il. C’est le seul qui reste. L’honneur du Barreau est en jeu. » Et celui-ci passe par la Conférence.
Cette année, il demande aux Douze de désigner trois d’entre-eux, prêts à défendre le terroriste. En coulisses, il négocie pour que ce dernier les rencontre, sans succès pour l’instant. Me Sven Mary, son avocat belge, a même plaidé leur cause au parloir comme le juge d’instruction en charge de l’affaire qui a tenté de faire entendre raison à Abdeslam.
« Je souhaite qu’il les voit, déclare Basile Ader. Ne serait-ce que sur ses conditions de détentions. Il n’y a pas de dossier où il n’y a rien à dire. » Si du côté des Secrétaires, on mesure les enjeux colossaux, Me Ader paraît serein. « A trois, ils auront les épaules. Ils les ont toujours eues dans l’Histoire, pas de raison qu’ils ne les aient pas cette fois-ci. » Pourquoi ? La réponse claque. « Parce qu’ils sont Secrétaires. »
Ce gros dossier de terrorisme est l’un des derniers de taille. Car cette année le « terro » a cédé la place aux affaires de viol, majoritaires dans le contentieux criminel cette année. La défense pénale d’urgence est le reflet des maux de la société et les plaintes pour violences sexuelles ont explosé dans le sillage du mouvement MeToo. Les secrétaires termineront ainsi l’année avec dans leur escarcelle une trentaines de dossier pénaux dont plusieurs finiront aux Assises.
Les meilleurs dossiers
Depuis les années noires du terrorisme, à Paris les relations avec les autres avocats semblent apaisées. Si certains trouvent « énervant qu’ils passent toujours devant », que quelques pénalistes les considèrent comme « parachutés », la plupart reconnaît qu’ils « sont très bons ». Le terrorisme n’y est pas étranger. Dans les autres barreaux en revanche, leurs monopoles laissent perplexe. « On comprend les critiques, jure un ancien. Mais on s’efforce d’être respectueux envers les confrères. Ça n’a peut être pas toujours été le cas. »
En 2017, Me Cesari, est désignée par Clément Baur, suspecté d’avoir projeté un attentat contre des candidats à la présidentielle. Au pôle antiterroriste de Nanterre, l’avocate marseillaise se trouve face à « des Secrétaires assez insistants » qui défendent leur précarré. « Si vous voulez, on vous substitue consoeur. » Elle les envoie bouler. « ça peut être pris comme de la gentillesse. Je ne l’ai pas forcément vu ainsi. On sentait qu’ils bisquaient un peu. »
Pour l’avocate phocéenne, cette rupture d’égalité est incompréhensible. « C’est la façon de fonctionner à Paris, je n’ai rien à dire. Mais on a tous passé un concours pour porter la robe, je ne vois pas pourquoi on devrait en passer un autre pour prouver qu’on peut le faire mieux que les autres. »
« Ce n’est pas parce qu’on réussit trois beaux discours qu’on est les meilleurs, admet Xavier Nogueras. En revanche, c’est parce qu’on les réussit qu’on a les meilleurs dossiers. A Paris, c’est le jeu, tout le monde le sait et le concours est ouvert à tous. »
Une conférence au masculin
Plus à tous qu’à toutes d’ailleurs. Une chose reste frappante au sein de l’institution qui traverse les âges : le nombre de femmes secrétaires, très inférieur à leur poids numérique au sein du Barreau de Paris. Les avocates de moins de cinq ans d’exercice représentent 64% de la profession mais dépassent rarement les 30% de la Conférence.
Une pomme de discorde qui secoue la confrérie depuis quelques années, jusqu’à en diviser ses anciens. « La Conférence permet un brassage social formidable, il est temps de se pencher sur la question de sa féminisation, estime Stéphane Bonifassi, 1er secrétaire en 1994, l’unique promotion majoritairement féminine de l’histoire. Quitte à passer par la parité pour un temps. »
Hérésie selon ceux pour qui seul le concours doit présider à la sélection des meilleurs, homme ou femme. Ils l’assurent, la raison serait à chercher dans « l’autocensure » dont les avocates feraient preuve, que le nombre d’élues correspond au nombres de candidates.
Pour autant, certaines anciennes expliquent que cela reste un monde machiste. Margot Pugliese, élue au prestigieux poste de 1er secrétaire en 2016, se souvient d’un traitement différent. « On m’a un peu fait comprendre que mon éloquence était moindre et que je devais mon poste à mon physique. » Gêné aux entournures, un ancien s’efforce de relativiser. « Comme dans toutes les familles, il y a des engueulades. »
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