Quelles mutations de la peinture entre 2000 et 2020 ? Au Frac Nouvelle-Aquitaine, l’exposition Milléniales ajoute un nouveau volet à une question riche de nombreux précédents.
Les “Milléniales” dont il sera question, ce sont les peintures. Réalisées entre 2000 et 2020, elles proviennent des collections publiques françaises et s’exposent ensemble en ce moment à Bordeaux. Le postulat de départ du commissaire Vincent Pécoil permet d’éviter l’écueil biographisant pour témoigner d’une commune immersion de leurs créateur·trices, au nombre d’une quarantaine, dans le bain de l’époque, d’une certaine époque.
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Comme dans le cas de l’appellation générationnelle, on parle ici de l’exposition à un environnement technologique mutant et aux reconfigurations que celui-ci amène en retour aux millenial·es de chair ou, en l’occurrence, de pigments. En un sens, l’entreprise prend la suite des grands panoramas qui scrutent les évolutions d’un médium qui, on le constate à scroller n’importe quel calendrier artistique, connaît son grand retour en grâce – quant à savoir s’il s’agit là d’une évolution ou d’une rupture, d’un scénario de peinture zombie ou de peinture garou, tel est bien le cœur de la question.
En 2014-2015, le MoMA à New York présentait un état des lieux placé sous les auspices du “présent éternel” d’un “monde atemporel” (The Forever Now : Contemporary Painting in an Atemporal World) ; puis en 2015-2016, le Museum Brandhorst à Munich et le Mumok à Vienne élisaient comme angle d’attaque “l’âge de l’information” (Painting 2.0 : Expression in the Information Age).
Pouvoir de visualisation
Au Frac Nouvelle-Aquitaine Méca, polyèdre blême et sans ombres, il s’agirait plutôt d’une pensée de l’image. Plus précisément, l’affaire nous y est présentée sous la forme d’un rapt. Car le réel, ce réel qui a une fâcheuse tendance à changer, est venu démettre la peinture de ses anciennes fonctions. Celle-ci néanmoins ne veut rien lâcher.
Elle est territoriale, alors elle se débat et tente de s’adapter, ainsi que l’indique un parcours qui reprend les genres picturaux classiques afin d’en éprouver la résistance : “Portraits”, “Public/privé”, “Histoire”, “Paysages”, “Natures mortes”, “Nature morte”, “La peinture hors du cadre”. Le récit qui émerge est alors plutôt celui d’une déperdition, où l’on nous montre davantage ce que la peinture perd que ce qu’elle gagne.
La question aurait tout aussi bien pu être posée autrement, pour interroger ce que l’environnement digital fait au peintre
L’écueil provient sans doute d’avoir voulu la maintenir à son niveau d’image ou d’écran. A poser ainsi la question, elle perd forcément face aux médias, à la publicité, aux industries culturelles, et se retrouve alors réduite à, citant le commissaire Vincent Pécoli, “faire bégayer ou se taire” et à “tourner en dérision” (pour citer Vincent Pécoli).
Or la question aurait tout aussi bien pu être posée autrement, pour interroger ce que l’environnement digital fait au peintre qui, dès lors qu’il est libéré de la représentation, des images, et a fortiori d’un visible dissous dans les logiques algorithmiques et le traitement des datas, se retrouve investi d’un nouveau pouvoir, d’une nouvelle “aura” – le mot survient sous la plume de la critique Isabelle Graw, dans Painting beyond Itself, la somme qu’elle consacre en 2016 à la peinture à l’ère “post-médium”, à la peinture au-delà d’elle-même.
Ce nouveau pouvoir, alors que tout pour nous redevient invisible, que le réel se met à tanguer et que retombe l’opacité de l’inconnu, c’est la visualisation : incarner les affects du moment dans les formes qui leur manquent, exprimer la reconfiguration de l’expérience sensible par des stratégies perceptives qui restent à inventer. Milléniales a le mérite d’ouvrir la question, de la problématiser de manière rigoureuse et de la décliner au fil d’un accrochage précis.
Milléniales. Peintures 2000-2020 jusqu’au 3 janvier 2021, Frac Nouvelle-Aquitaine Méca, Bordeaux
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