Les pérégrinations malicieuses d’un cinéaste asiatique perdu dans Pantin et pris dans un polygone amoureux à la Hong Sangsoo. Une réjouissante découverte.
C’est à Pantin, la ville de proche banlieue parisienne dont il tire son décor et son titre, que le film de Nicolas Leclère a obtenu son plus illustre honneur à ce jour : le grand prix du respecté festival Côté court, qui lui a été décerné en 2015. Face à l’odeur de chauvinisme qui plane derrière la médaille, et prête un peu à sourire, tout soupçon est bien sûr à dissiper : le film mérite récompense. Mais le hasard (vieille marotte rohmérienne qu’on retrouve volontiers ici) ne veut pas rien dire : la ville, l’espace, le plan sont au cœur d’un moyen métrage qui a souvent l’air d’écrire du même trait la topographie des lieux et celle des sentiments.
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On y suit Kogo, cinéaste japonais imaginaire, doublement étranger puisque, établi en région française, il n’est que de passage à Paris. Doublement étranger, et d’autant plus enclin à se perdre : l’histoire ne raconte que ses dérobées, qu’elles soient physiques ou relationnelles.
Conférence sur l’échec en art
Arrivé à Pantin, un quiproquo l’empêche de trouver la maison de l’ami qui doit l’accueillir – s’ensuit une promenade sur la ligne de touche du film : déambulation dans les rues, rencontre impromptue d’une styliste illuminée qui griffonne sur son carnet le croquis d’une tour météo aux faux airs de soucoupe volante.
Par la suite, le personnage se précise : il est venu dispenser à Paris une conférence sur l’échec en art (appréciez ou non l’ironie), du moins le prétend-il. A l’instar du Léo de Rester vertical, le dernier film d’Alain Guiraudie, Kogo cherche de façon quasi cartoonesque à échapper à ses obligations professionnelles, malgré les appels insistants de son producteur.
Un imbroglio amoureux entre le héros, son hôte et ami, la compagne de ce dernier et quelques autres apparitions féminines
En toile de fond, un imbroglio amoureux entre le héros, son hôte et ami, la compagne de ce dernier (Astrid Adverbe, invariable égérie d’un certain cinéma d’auteur fauché, chic et raffiné de ces dernières années – on l’a vue notamment chez Paul Vecchiali) et quelques autres apparitions féminines.
On l’aura compris : Les Rues de Pantin appartient à la tradition d’un cinéma français d’humeur malicieuse, teint d’un humour en mode mineur, pétri d’un esprit littéraire joliment désuet. Celui notamment de la maison Diagonale, la société fondée par Vecchiali (encore lui) pour produire ses films et ceux de Jean-Claude Biette ou Jean-Claude Guiguet.
Spleen de la périphérie urbaine
Le jeu y est blanc, presque absent, sans style ; le texte est clamé dans une sorte d’évidence antiréaliste, un goût du sens pur et de la ligne claire. Chez certains, c’est un ressort comique (Pascale Bodet dans un rôle de professeur Tournesol assez réjouissant). Chez d’autres, une très belle posture, presque un état d’être : l’espèce d’aisance naïve et limpide avec laquelle se meut Hiroto Ogi fait comme un filet d’eau sur le film.
Mais s’il y a une autre parenté à relever, celle-ci tout à fait indubitable – on peut quasiment parler d’exercice de style –, c’est celle de Hong Sangsoo (In Another Country, Un jour avec, un jour sans…). Chaises musicales et combinatoire des couples à l’intérieur de polygones amoureux en déséquilibre ; incorrigible cuistrerie des hommes (ici un peu moins méchamment dépeinte, tout de même) cachant mal leur goût des conquêtes féminines, etc. Leclère inclut même une citation de plan : une scène de beuverie filmée au sol, emblématique du Coréen.
Pas de querelle de plagiaire à dénoncer, pourtant. Le film est tout à fait légitime à réemployer cette grammaire, la mettre à l’épreuve d’une nouvelle histoire et d’un nouveau jeu sur les cahots du langage. Il en tire même une couleur assez neuve : un romantisme froid et automnal, gonflé du spleen de la périphérie urbaine.
Poésie épurée
En accompagnement de programme, un précédent court métrage de Nicolas Leclère, Comment dire, stricte mise en image d’un vers de Fénéon (“Un inconnu peignait d’ocre les murs du cimetière de Pantin/Dujardin errait nu par Saint-Ouen-L’Aumône. Des fous, paraît-il”).
Le projet étonne. Dada, arbitraire, il porte aussi en lui cet étrange rapport littéral et simplifié aux choses et à leur nom qu’exprime le travail du cinéaste. Posture d’une poésie épurée, adaptée à l’envergure modeste de ces deux films-haïkus qui signent, quoi qu’il en soit, l’apparition, de l’autre côté du périph, d’un intrigant auteur de banlieue.
Les Rues de Pantin de Nicolas Leclère (Fr., 2015, 59 min)
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