Le député communiste du Nord va succéder à Pierre Laurent à la tête du PCF. Entre réaffirmation de l’identité communiste et nécessité de s’adresser aux autres forces de gauche, quel type de parti va-t-il incarner ?
On n’avait pas vu ça au Parti communiste français (PCF) depuis les années 1920. Pierre Laurent, son secrétaire national depuis 2010, s’apprête à passer la main, après avoir été mis en minorité début octobre lors d’un vote inédit des adhérents. L’homme qui assurera la transition a été désigné lors d’une commission des candidatures – son élection au 38e congrès du PCF à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) le 25 novembre devrait être une formalité. Fabien Roussel, député du Nord âgé de 49 ans, sera le nouveau patron du “grand parti de la classe ouvrière”. Incarne-t-il pour autant un PC d’un autre genre ? C’est ce qu’il espère. “Profitons de ce congrès, et quelque part de cette révolution interne pour se rassembler, et offrir un nouveau visage au PCF”, plaide-t-il à la cafétéria de l’Assemblée nationale, où nous le rencontrons. “Additionnons-nous, on doit sortir de cette échéance plus forts, unis et combatifs”.
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“Il incarne la tradition d’un communisme enraciné”
Il y a du boulot. Signataire du “Manifeste pour un PCF du XXIe siècle” porté par le chef des députés communistes, André Chassaigne, qui a battu le texte de Pierre Laurent, ce père de famille né à Béthune (Pas-de-Calais), journaliste cameraman de profession, entend revenir aux fondamentaux de l’identité communiste. Fidèle à la philosophie du Manifeste, il estime que l’absence d’une candidature communiste autonome aux deux dernières élections présidentielles (2012 et 2017, au profit de Jean-Luc Mélenchon) a été fatale. “Ne pas présenter de candidat à la présidentielle a été une erreur stratégique fondamentale, c’est presque le B.A-BA de la politique, quand on est un parti qui a la force de présenter des candidats aux législatives sur tout le territoire national”, défend le député au regard d’acier.
Face au rouleau compresseur de la France insoumise (LFI), qui a germé en un éclair et occupe désormais une place dominante à gauche, le nordiste formé aux Jeunesses communistes (JC) fait le pari de la tradition, et d’un retour aux bases. “Fabien Roussel a pour lui de s’inscrire dans une tradition communiste, celle du Nord, qui a une identité culturelle très forte, et qui est très enracinée socialement, analyse l’historien du communisme Roger Martelli. Il incarne la tradition d’un communisme enraciné : le fait qu’il ait été choisi n’est donc pas sans signification”.
“Il peut apparaître comme quelqu’un de plus viril au sens politique du terme”
Non seulement la ligne du PCF va donc s’infléchir, mais le style du dirigeant devrait également trancher avec celui de Pierre Laurent, à qui certains militants reprochaient d’être trop effacé. Proche de ce dernier, l’eurodéputée communiste Marie-Pierre Vieu en convient : “Fabien Roussel peut apparaître comme quelqu’un de plus viril au sens politique du terme. Pierre avait apporté une douceur au PCF, c’était à la fois son défaut et sa qualité : il se posait des questions, réfléchissait en permanence, ce qui le rendait parfois moins tranchant aux yeux des militants. Fabien vient du Nord, il est enraciné dans le combat social, il porte des sujets à l’Assemblée qui sont liés à des affrontements durs, il a donc un côté plus tribun”, avance-t-elle.
Parler fort, et parler clair. Voilà une attente vis-à-vis du nouveau secrétaire national qui est partagée tant du côté des militants “cocos” que du côté “insoumis”. Les relations entre le mouvement populiste de gauche et le PCF ont connu des hauts et des bas ces dernières années, et s’étaient nettement refroidies dernièrement. Officiellement, LFI était d’ailleurs absente de la dernière Fête de l’Humanité – en cause, notamment, un désaccord sur les questions migratoires. Contacté par Les Inrocks, le député du Nord LFI Adrien Quatennens, qui part souvent de la même gare que Roussel, pour se rendre au même endroit, confie être dans une position “attentiste” : “Connaissant le bois dont il est fait, il aura des revendications claires, car c’est quelqu’un qui parle franc. On a parfois regretté au PCF des gens qui tergiversaient, qui entretenaient la confusion généralisée. On a bon espoir qu’il parle sans détour, pour exprimer ses accords comme ses désaccords, et que cela apporte une clarification”. Quitte à ce qu’aux relations faussement amicales succèdent des rapports sèchement officiels, donc.
“Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je crois dans le clivage gauche-droite”
L’intéressé se dit pour sa part “disponible pour travailler avec tout le monde”. A l’encontre de l’étiquette de communiste identitaire qu’on lui accole désormais, il se veut ouvert : “Je ne suis pas pour un PC qui vit replié sur lui-même. Je suis pour qu’on arrive à construire un rapport de force à gauche qui permette de l’emporter sur la droite et le libéralisme. Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je crois dans le clivage gauche-droite, et je suis pour construire un rapport de force avec tous les hommes et femmes de gauche, et les forces qui vont avec”.
A la différence de la ligne défendue par la députée Elsa Faucillon pour un rapprochement avec LFI, dont le texte “Pour un printemps du communisme” avait obtenu 11,9 % des voix en octobre, Roussel semble lorgner plus volontiers vers les écologistes et Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon. “Que le parti revendique une voix plus autonome, je contresigne, mais il faut parler au reste de la gauche”, souligne Marie-Pierre Vieu. “Je ne voudrais pas qu’au nom d’un PC plus identitaire, on abandonne les combats existentiels que nous avons menés, pour l’écologie, le féminisme, l’antiracisme, etc. L’abandon du centralisme démocratique dans nos statuts, c’était en 1976, et je n’en suis pas nostalgique”, ironise l’eurodéputée.
“La tête toujours dans les étoiles, mais les pieds dans la glaise”
Réaffirmer l’identité communiste ne suffirait en effet sans doute pas à redonner toute son influence au PCF, qui pouvait jadis s’appuyer sur une ample galaxie composée de syndicats, d’associations et de nombreux titres de presse. D’autant plus si, à l’issue du congrès, les fractures internes ne sont pas refermées. Pour atténuer la douleur et éviter que le cuirassé communiste tangue excessivement, Pierre Laurent conservera d’ailleurs le poste de numéro deux, en prenant la tête du parlement du parti. Les mauvaises langues diront qu’au culte du chef, le PCF substitue celui de plusieurs autres de moindre envergure. Communiste jusque dans la moelle des os, portant fièrement son accent du Nord et revendiquant la nécessité pour son parti d’“avoir la tête toujours dans les étoiles, mais les pieds dans la glaise”, Fabien Roussel ne pourra faire l’économie d’une synthèse. Les communistes retiennent leur respiration.
Avec Julien Rebucci
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