Elle avait cité leur nom sur Facebook, les présentant comme responsables de la mort de son frère Adama, décédé dans des circonstances troubles en juillet 2016 peu après son interpellation. La jeune femme, figure médiatique du comité « La vérité pour Adama », dénonce un acharnement contre sa famille, qui lutte depuis trois ans pour faire lumière sur cette affaire.
Quelques mots postés sur Facebook ont mené mardi 1er octobre Assa Traoré au commissariat du 17e arrondissement de Paris. La jeune femme, figure médiatique du comité « La vérité pour Adama », est attaquée en diffamation par trois gendarmes. Et ce, parce qu’elle les désigne nommément, dans deux posts publiés le 19 décembre 2018 et le 19 janvier 2019 sur le compte du comité, comme responsables de la mort de son frère Adama Traoré, décédé à 24 ans dans des circonstances troubles peu après son interpellation par ces mêmes gendarmes, en juillet 2016.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ces trois hommes sont aujourd’hui placés sous statut de témoins assistés pour « non-assistance à personne en péril ». Ils n’ont jamais été mis en examen dans cette affaire, malgré les demandes répétées de la famille Traoré. Ils portent aujourd’hui plainte pour diffamation et ont pris comme avocat maître Rodolphe Bosselut, qui défend notamment Marine Le Pen. « Ce choix ne nous étonne pas du tout. Son idéologie et sa vision de la société sont totalement opposées à la nôtre », souligne Youcef Brakni, militant des quartiers populaires et membre de « La vérité pour Adama ». Sollicité par les Inrocks par le biais de son cabinet CPC et Associés par téléphone puis par mail en début d’après-midi, Me Bosselut n’a pour l’heure pas donné suite.
Assa Traoré est entrée dans le commissariat du 17e arrondissement à 11 h, avant de ressortir environ 40 minutes plus tard. Elle raconte avoir assumé l’entière responsabilité de ces posts face aux policiers, et a refusé catégoriquement de les retirer. « Les gendarmes qui ont tué mon petit frère portent plainte contre moi, car j’ai donné leurs noms. Mais on les redonnera car nous avons prouvé grâce à notre dernière expertise qu’ils sont responsables de la mort de mon petit frère. Leurs noms n’ont pas été inventés. Ils doivent être connus de tous. » Pour son avocat maître Yassine Bouzrou, contacté par téléphone par les Inrocks, l’infraction n’est pas caractérisée. « Il n’y a pas de diffamation. Assa Traoré a le droit d’indiquer que, selon elle, les gendarmes sont responsables de la mort d’Adama. Elle le dit en s’appuyant sur un dossier et sur une enquête judiciaire. Ses allégations sont sérieuses et confirmées par une expertise. »
Une nouvelle expertise pour relancer l’affaire
En mars dernier, le Monde révélait les résultats d’un rapport, réalisé aux frais de la famille, qui balayait les conclusions avancées jusqu’à présent sur les causes de la mort du jeune homme. En outre, il remettait en cause l’éthique des précédents experts, qui, dans leur rapport de septembre 2018, affirmaient qu’Adama Traoré était décédé à la suite d’un « syndrome asphyxique » créé par la combinaison de deux maladies dont il était atteint (un trait drépanocytaire et une sarcoïdose de type 2). De quoi écarter une éventuelle responsabilité des gendarmes, qui nient d’ailleurs tout rôle dans la mort du jeune homme.
Dans l’expertise médicale réalisée aux frais des Traoré, les médecins mandatés réfutent l’idée selon laquelle Adama serait décédé du fait de la conjonction de ces maladies, et s’étonnent que leurs confrères « [ne se soient pas intéressés] avec insistance à ces concepts d’asphyxie positionnelle, qui ont été décrits dans plusieurs études s’intéressant aux décès survenus lors d’arrestations policières ». Suite à ces révélations, la justice avait relancé l’enquête en avril, demandant une nouvelle contre-expertise. « On l’attend toujours », poursuit Youcef Brakni. « Et je pense qu’ils n’arrivent pas à trouver de médecin qui veuille se confronter au dossier et aux conclusions des spécialistes de ces deux maladies que nous avons réunis. »
“Un acharnement juridique”
Avec quelques membres du comité venus la soutenir à sa sortie du commissariat, Assa Traoré a dénoncé ce qu’elle considère comme un acharnement subi par sa famille, et notamment par son frère Bagui, actuellement en prison. Pour rappel, il était présent lors de son interpellation, en juillet 2016.
« Au mois de juillet, les juges nous avaient promis une nouvelle expertise en septembre. A la place, je reçois une convocation au tribunal. C’est ridicule, indécent et honteux. Ces gendarmes jouent les victimes, alors que les victimes, c’est nous, la famille Traoré. Mais ce combat renforce notre armure. Nous ne lâcherons jamais et ferons en sorte qu’ils répondent de leurs actes et aillent en prison », a ajouté la jeune femme. Elle devrait très prochainement recevoir une mise en examen et risque une amende pouvant aller jusqu’à 12 000 euros, ainsi que des dommages et intérêts.« Nous ferons un procès politique », promet de son côté Youcef Brakni. « Nous mobiliserons tous nos soutiens en France et dans le monde entier pour exiger justice. »
>> A lire aussi : Camélia Jordana et Assa Traoré : “On est le peuple, on est le nombre, on est la force”
{"type":"Banniere-Basse"}