Déjà visé par une procédure de destitution suite à l’affaire ukrainienne, le président américain aurait également cherché à obtenir de l’aide de la part du Premier ministre australien pour discréditer l’enquête du procureur Muller.
Soupçonné de collusion avec la Russie, d’avoir fait pression sur le Président ukrainien dans le but d’obtenir des renseignements compromettants sur son adversaire démocrate et d’avoir demandé l’aide du Premier ministre australien pour discréditer le rapport Muller ; la liste des suspicions qui pèsent contre Trump ne cesse de s’allonger. Ces nombreuses affaires impliquant le président américain plongent les Etats-Unis dans une profonde crise politique à seulement un an des présidentielles.
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Si Donald Trump a d’ores et déjà annoncé sa candidature à l’investiture républicaine, il fait actuellement l’objet d’une enquête, lancée par les démocrates le 24 septembre, dans le but de le destituer.
En cause, une conversation téléphonique avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, au cours de laquelle le président américain a cherché à obtenir des informations en vue de discréditer Joe Biden, son adversaire pressenti dans la course à la Maison Blanche. Pour les obtenir, le milliardaire est soupçonné d’avoir menacé l’Ukraine de suspendre le versement d’une aide militaire.
En plus de ce scandale, qui a mené à l’ouverture d’une procédure de destitution, le New York Times a révélé ce lundi 30 septembre que le président américain a également cherché à obtenir de l’aide de la part du Premier ministre australien, Scott Morrison, pour discréditer l’enquête du procureur Muller à son encontre.
Dans son rapport, celui qui avait été chargé d’investiguer sur de possibles collusions entre la Russie et l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016 avait conclu à une absence d’ingérence de la part de Moscou. Muller ne blanchissait cependant pas le milliardaire américain des soupçons d’entrave à la justice qui pesaient sur lui.
Les investigations lancées aujourd’hui sont menées par le procureur général William Barr qui s’interroge sur les origines des révélations qui ont poussé Muller à enquêter.
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Nicole Bacharan, politologue spécialiste de la société américaine et auteur d’un ouvrage intitulé Le monde selon Trump, décrypte pour les Inrocks les enjeux liés à ces multiples affaires et à la crise politique que traversent les Etats-Unis.
En quoi la révélation de la discussion de Trump avec le Président ukrainien a permis aux démocrates de lancer la procédure d’impeachment ?
Nicole Bacharan – Ce qui se passe avec cette affaire, contrairement à tous les abus de pouvoir, à tous les signes de corruption que Donald Trump a pu donner depuis deux ans et demi, c’est qu’elle est relativement simple à comprendre et cela aide les démocrates à présenter le cas au congrès mais aussi au public. En plus c’est franchement illégal. C’est-à-dire que s’il a vraiment fait ce dont on le soupçonne, ça tombe dans la liste de ce qui peut être poursuivi pour un impeachment.
Cette fois-ci, c’est vraiment clair. Il y a un coup de téléphone, peut-être d’autres, mais il y a surtout une volonté de la Maison Blanche de verrouiller tout ça. Ils ont mis ce coup de fil prétendument anodin au sommet de la classification secret-défense. C’est donc sûr qu’il y a au moins obstruction à la justice.
Et si vraiment, même sans le dire pendant ce coup de fil, Donald Trump, par ses actions, a mis en balance les 391 millions d’aides notamment militaires à l’Ukraine contre une enquête sur Joe Biden, là on est franchement dans la trahison. Cette affaire n’est donc pas compliquée, elle est grave et franchement illégale et les démocrates étaient obligés de lancer la procédure d’impeachment, sinon ils ne remplissaient plus leur rôle. Je les vois mal aller devant les électeurs en laissant passer ça.
Après avoir demandé à l’Ukraine de lancer une enquête, Trump demande maintenant de l’aide au Premier ministre australien pour discréditer le rapport Muller. Quel est l’intérêt pour lui de dénigrer une enquête qui a conclu à l’absence de preuve de collusion entre Moscou et son équipe de campagne ?
C’est un défaut de caractère, il veut se venger de ceux qui l’ont mis dans la difficulté. Il veut d’autant plus se venger de l’enquête Muller et de l’affaire russe car elles ont a voir avec la légitimité de son élection.
Il ne supporte pas que l’on puisse dire -ce qui est vrai- qu’il a gagné l’élection avec l’aide des Russes. Donc non seulement il veut s’en tirer mais il faut aussi qu’il écrase, qu’il éradique une vérité qui le dérange et ceux qui sont responsables de l’avoir rendue publique. Quand on voit qu’il mêle le président ukrainien dans les rapports Etats-Unis/Russie, et qu’il a fait la même chose avec l’Australie on se dit,“mais jusqu’où ça va aller ?”
Ça donne l’impression d’une pelote que l’on tire et qui montre petit à petit que potentiellement il poursuit des intérêts personnels à travers la politique étrangère américaine tout le temps et partout.
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L’enquête sur les origines des révélations qui ont poussé Muller à investiguer sur les liens avec la Russie a été lancée par le procureur général William Barr. Est-ce que Trump se sert de sa position de président pour faire pression sur lui ?
Sans aucun doute, il le fait tous les jours. William Barr sait parfaitement pourquoi il a été mis là. Il est là pour protéger Trump, c’est son seul vrai rôle et il le sait. Trump, est prêt à couler tout le monde autour de lui pour survivre. Il a déjà tiré Mike Pence avec lui en disant qu’il s’était aussi rendu en Ukraine. Il essaie sans aucun doute de faire pression sur les dirigeants des autres pays. Après, il faut le prouver juridiquement.
La transcription avec le président ukrainien ne reprend pas l’intégralité de la conversation, je pense qu’il peut encore y avoir d’autres choses dans la partie à laquelle nous n’avons pas accès. On entend le président ukrainien en train de le flatter mais l’Ukraine est très vulnérable et très dépendante des Etats-Unis pour faire face à la Russie. Les Américains lui fournissent une aide militaire, économique et civile, ce sont de gros enjeux.
Est-ce que la nouvelle affaire impliquant le Premier ministre australien peut jouer un rôle dans la procédure d’impeachment ?
Je ne vois pas comment elle n’en jouerait pas. En fait, un diplomate australien a reçu une personnalité d’extrême droite qui a brièvement travaillé pour Trump et ils ont échangé des informations à propos de la collusion russe donc je ne vois pas comment cela n’entrerait pas dans l’enquête. Je pense que les affaires ukrainiennes et australiennes vont se joindre l’une à l’autre parce que d’une certaine manière, ce sont les mêmes. C’est peut-être la méthode Trump, à savoir, utiliser la politique étrangère américaine à des fins personnelles, qui va être le sujet de l’enquête.
La procédure d’impeachment lancée par les démocrates à l’encontre de Trump peut-elle aboutir selon vous ?
Aujourd’hui, ça paraît presque impossible. Mais je vois que de jour en jour la pelote que l’on tire devient plus épaisse alors la seule question à se poser est “Est-ce que les sénateurs républicains auront peur de couler avec Trump ?”
Si l’humeur du public se retourne vraiment contre Trump et si les sénateurs qui vont être en réélection en 2020 ont le sentiment qu’ils peuvent couler avec lui, alors à ce moment-là ça peut aboutir, mais on en est encore loin. Il faudrait que tout ça devienne tellement énorme que les républicains en commencent à se dire qu’ils n’existeraient plus s’ils continuaient à le soutenir. Mais c’est encore trop tôt pour le dire.
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Quelles pourraient être les répercussions de l’enclenchement de cette procédure sur les élections présidentielles prévues en novembre 2020 ?
Dans la première partie de la campagne, ça va être un référendum pour ou contre Trump, pour ou contre l’impeachment. Normalement cette procédure devrait être achevée assez longtemps avant l’élection, on parle de quatre à cinq mois. Si jamais Trump était destitué les élections ne ressembleraient pas du tout à ce que l’on voit venir aujourd’hui puisqu’il ne pourrait plus se présenter.
S’il n’est pas destitué, il va évidemment crier victoire partout et j’imagine que ses électeurs seront galvanisés. Mais dans les quatre à cinq mois il va être difficile de parler d’autre chose, ça va être compliqué pour les démocrates de débattre des programmes, ils vont être interrogés là-dessus partout. C’est tellement énorme comme affaire de destituer ou non le président. Je ne crois pas qu’il y aura grand-chose d’autre qui intéressera les électeurs à ce stade de la campagne électorale. On est au début, tout le monde ne s’y intéresse pas encore, par contre l’impeachment va intéresser tout de suite, donc ça risque de dominer les débats.
Est-ce qu’il peut s’agir d’un revers pour Donald Trump ou est-ce que sa stratégie de victimisation peut marcher ?
Dans un premier temps en tout cas, ça marchera, parce que le pays est extrêmement fragmenté. Les 43% d’électeurs qui soutiennent Trump ne s’informent pas autrement que par les tweets du président, les talkshows qui lui sont favorables et Fox News. Ces électeurs n’ont pas en parallèle des infos plus nuancées qui font part du point de vue du camp adverse donc le message de Trump qui crie à la chasse aux sorcières et au complot va marcher.
Ses méthodes sont atroces mais il est très efficace quand il se retrouve dos au mur. Et s’il n’est pas destitué, ce qui paraît aujourd’hui la conclusion la plus probable, ça lui sera indéniablement favorable parce qu’il pourra encore plus se positionner comme une victime. S’il est destitué par contre c’est fini. Il n’y a pas d’appel, pas de possibilité de se représenter, rien.
Dans l’Histoire, combien de présidents ont été visés par une procédure d’impeachment ?
Il y en a eu deux. Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998. Pour tous les deux, la chambre des représentants a voté les chefs d’accusation et les présidents ont été “impeached”, c’est-à-dire empêchés mais pas encore destitués.
L’étape suivante, c’est la destitution votée par le Sénat, et aucun président américain n’a jamais à ce jour été destitué. On est encore loin d’en arriver là avec Trump mais si le Sénat votait sa destitution, il perdrait immédiatement sa fonction de président et c’est le vice président Mike Pence qui prendrait sa place. Mais si cette affaire était grave au point que Trump soit destitué, il serait très étonnant que Mike Pence ne soit pas mouillé aussi. Et si Mike Pence était destitué, la prochaine dans la liste de succession c’est Nancy Pelosi, ça pourrait être très intéressant mais on en est loin.
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