J’ai fait en sorte que, l’instant d’un numéro, cette revue qui m’a accompagné depuis mes années d’étudiant s’accorde entièrement à mes désirs.
Cela fait une quinzaine d’années que l’œuvre de Christophe Honoré accompagne la vie de ce journal, nourrit ses sommaires, s’immisce aussi bien dans les pages cinéma que livres ou scènes. Au coup par coup, beaucoup de ses films, pièces, romans, mises en scène d’opéras ont profondément compté pour nous : Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite, Nouveau Roman, Ton père… Mais c’est aussi l’œuvre dans ce qu’elle dessine de mouvant, polymorphe, rapide qui nous paraît une des plus contemporaines qui soit. Rien de plus naturel donc que de proposer à Christophe Honoré de diriger un numéro des Inrocks. Et avec l’extrême aisance qui le caractérise pour maîtriser des activités nouvelles, il s’est montré un rédacteur en chef particulièrement inventif et investi. La parole est à lui. Les Inrockuptibles
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Il est 8 heures du matin et je suis allongé dans une chambre d’hôtel à Rennes. Je sais qu’Etienne Daho dort dans un autre hôtel à quelques mètres de là, nous devons nous rejoindre bientôt pour une promenade dans la ville en compagnie de Jean-Marc Lalanne et Franck Vergeade. Cela me semble insensé, comment en suis-je arrivé là ? J’ai entre les mains un cahier à la couverture épaisse et rayée, où il y a désormais trente ans je tenais mon journal intime.
J’avais une écriture ronde d’écolier appliqué : « Rennes, 20 février, je suis retourné hier soir admirer Faux-Semblants, ai compris que ce qui me touche le plus c’est la réflexion que Cronenberg porte sur la stérilité du comédien. Retour de vacances. Atmosphère pesante, tout contribue à précipiter les événements. Mais suis-je assez courageux et fort pour un tel combat ? En ce moment, plongé dans son Journal, je vis plus la vie de Matthieu Galey que la mienne. Regretterai-je un jour d’avoir tourné le dos à ma vie ? » Je n’ai aucun souvenir des événements que j’évoquais. J’imagine qu’il s’agissait d’une affaire amoureuse. En revanche, je n’oublie pas le sentiment tenace de défaite qui m’envahissait alors, la certitude que j’avais de perdre mon temps et que jamais je ne parviendrais à faire que ma vie soit consacrée au cinéma.
J’ai voulu que ce numéro des Inrockuptibles soit fidèle au jeune homme que j’étais. J’ai voulu profiter de ce cadeau pour mêler mes rêves d’étudiant à ma vie de metteur en scène d’aujourd’hui. Que le journal que vous tenez entre vos mains ait le caractère tremblant et secret d’un journal intime. Et je l’entends presque comme un manifeste, cette volonté double de se plier à une discipline de sincérité et de mémoire. Ce n’est certainement pas une question de nostalgie, mais plutôt de loyauté. C’est croire, toujours, que le passé hérite de ce que l’on fabrique comme on peut au présent.
Et cela m’a plu de fabriquer ce journal, d’y allier Edi Dubien et Bernard Faucon, Christine Angot et Mathieu Bermann, Adrianne Lenker et Etienne Daho… Cela m’a plu de réunir le temps d’une photo les gens qui ont compté pour l’artiste que je suis devenu. A l’heure de la remise de cet édito, j’aimerais dire ma joie d’avoir travaillé avec cette équipe, pour cette revue qui m’a accompagné depuis mes années d’étudiant. J’ai fait en sorte que, l’instant d’un numéro, elle s’accorde entièrement à mes désirs. Elle l’a accepté de bonne grâce. Et ce fut comme une infidélité que l’on s’autorise, une nuit passée ailleurs. Il est temps désormais de rentrer chez soi et se remettre au travail. Christophe Honoré
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