Un drôle de séjour sur une île scandinave dont les habitants un peu bizarres ont beaucoup d’histoires à nous raconter : tel est le programme du nouveau jeu du studio danois Triple Topping. Et aussi : l’élan mythologique du merveilleux Hades, les ados japonais en lutte du tout aussi impressionnant 13 Sentinels : Aegis Rim et le bel esprit arcade d’Umihara Kawase BaZooKa !.
Vous êtes arrivé. Un peu étonné, vous regardez autour de vous : voilà donc l’île sur laquelle, désormais, vous allez habiter. Vous saluez les premiers habitants que vous croisez avant d’aller voir votre nouvelle maison. Les autres, vous aurez bien l’occasion de faire leur connaissance demain, et puis tous les jours suivants lorsqu’à peine réveillé, vous partirez à leur rencontre, curieux de découvrir ce que ces voisins parfois bien étranges peuvent encore bien avoir à vous raconter. Quelque chose vous dit que, sur cette île, on ne doit pas souvent s’ennuyer. Serions-nous de retour dans le monde réconfortant d’Animal Crossing : New Horizon ? Eh non : cette île-là a pour nom Elk, et ce qui s’y passe est souvent beaucoup plus sombre qu’au pays de Tom Nook et des animaux parlant. Mais cela n’empêche pas le jeu du studio danois Triple Topping de nous mettre en joie.
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Etranges activités
Welcome to Elk. Bienvenue sur l’île d’Elk, donc, où bien des surprises attendent notre héroïne baptisée Frigg, qui arrive de la grande ville pour y parfaire ses talents de charpentière. Mais qui, de toute la durée de son séjour, ne se mettra jamais vraiment à travailler le bois tant elle se retrouve toujours prise par autre chose – c’est l’un des running gags du jeu, à supposer qu’on puisse parler de gag. Il faut dire qu’ici, on a pour principe de prendre son temps. Et, accessoirement, de ne jamais laisser passer une bonne occasion de boire. L’un des habitants de l’île a d’ailleurs caché des bières un peu partout et par exemple, tiens, justement sous ce rocher. Histoire, en cas de longue balade, d’être certain de ne jamais en manquer. A titre personnel, on aime beaucoup le mini-jeu de Welcome to Elk qui nous demande de servir des bières aux clients du bar The Hermit, qui est le principal espace de vie collective de l’île. Ou celui qui nous envoie à la pêche aux bouteilles de bières malencontreusement envoyées au fond de l’eau – attention quand même, ce faisant, à ne surtout pas attraper de poisson à la place.
Sur l’île d’Elk, les activités ne manquent pas et, si la plupart peuvent évoquer des dispositifs rencontrés dans d’autres jeux vidéo, c’est généralement avec une sorte de pas de côté, de léger basculement dans l’étrangeté. A l’image du mini-jeu de golf dans lequel on tape sur tout et n’importe quoi dans la fantaisie la plus parfaite et qui est un hommage assumé au génial What the Golf ? d’un autre studio de développement danois, Triband. Ainsi, lorsque Welcome to Elk nous propose une épreuve musicale avec quatre sons associés chacun à une touche de la manette ou du clavier, notre rôle n’est pas de reproduire une mélodie qui nous est soumise, mais d’en inventer une que le personnage installé à côté du nôtre reproduira, ce qui transforme radicalement l’expérience en la plaçant du côté de la création improvisée. Et puis il y a une partie de cartes, un jeu de Lego (ou quasi) avec pour objectif de créer la devanture d’un café. Ou encore ce moment où l’on doit coller des yeux, un nez et une bouche sur des boulons pour remplacer les parents d’un certain Anders qui vit au fond d’une caverne avec son lapin géant. Parce que, vous voyez, les parents d’Anders sont morts. D’ailleurs, Anders croit être lui-même mort. Il pense que nous sommes tous déjà morts.
Témoignages filmés
La mort, donc, tient une place au moins aussi importante que l’alcool dans Welcome to Elk, où l’on sera, par exemple, amené à déplacer un cadavre. Ou invité à achever un animal qui souffre – on n’en a pas eu le cœur. Et puis il y a cette histoire de meurtre que l’on nous raconte. Il faut dire que, dans Welcome to Elk, on nous raconte beaucoup d’histoires. Ces dernières, présentées comme vécues, sont même au centre du projet de Triple Topping qui, tout au long des trois ou quatre heures que dure le jeu, les distille d’au moins quatre manières. On peut les “vivre” en jouant ou bien écouter un personnage nous relater ce qui s’est passé. On peut aussi lire les messages contenus dans les bouteilles qui apparaissent régulièrement chez nous, la plupart du temps au petit matin, alors que l’on sort à peine d’un “rêve à la David Lynch”. Enfin, parfois, c’est par l’intermédiaire d’une séquence vidéo qu’un véritable être humain filmé (et non un personnage dessiné, comme ceux qui sillonnent Elk de leur inimitable pas sautillant) nous offre son récit. Ce qui modifie sensiblement la manière dont on le reçoit, en particulier quand il y est question d’un homme retrouvé mort dans la neige ou d’une agression sexuelle.
Quatrième mur
Et pourtant, avec toute cette bizarrerie et cette hétérogénéité, Welcome to Elk se révèle être un jeu élégant et harmonieux. Peut-être, justement, parce qu’il ne s’interdit rien, y compris de secouer un peu le “quatrième mur” en confrontant Frigg aux créateurs du jeu qui discutent d’une scène par laquelle elle est passée quelques jours plus tôt. Mais quand elle ouvre la porte derrière laquelle semblent venir leurs voix, ce n’est qu’un placard dans la cuisine de Mister Bo, l’homme le plus riche de l’île. On trouve de tout dans Welcome to Elk : une femme qui organise (avec beaucoup d’alcool) les funérailles de son amoureuse dès que cette dernière part quelques jours en voyage, un bœuf musqué qui vous piétine la tête alors que vous faites une petite sieste (après avoir bien bu), une recette de hot-dog (capture d’écran obligatoire) ou un clin d’œil au jeu Ynglet que les membres de Triple Topping développent avec leur grand ami Nicklas “Nifflas” Nygren (Knytt Underground, Uurnog Uurnlimited), qui devrait sortir dans les prochains mois. De tout, dans tous les sens, avec un côté bricolé et pourtant, aussi, une extrême élégance. Et si ce qu’il remue est assez sombre et violent, il ne faudrait pas s’y tromper : Welcome to Elk est aussi l’un des jeux les plus drôles de l’année.
Welcome to Elk (Triple Topping Games), sur Xbox One, Mac et Windows, de 12 à 15€
Et aussi :
Hades
Encore un Rogue-like ? Oui, mais Hades pourrait bien être le sommet du “genre”, en plus du chef-d’œuvre de Supergiant Games (Bastion, Transistor, Pyre). Ici, la répétition inhérente à cette approche particulière du game design est placée au cœur de l’expérience, assumée et même magnifiée plutôt qu’atténuée, tout en formant le principe même du récit alors que dans la peau de Zagreus, fils d’Hadès, on enchaîne les tentatives de fuite des enfers. “Again”, “One More Time”, annonce notre héros, notre double, comme fiévreux, jusqu’au bout de la nuit. Et pourtant, subtilement, l’intrigue avance au fil de nos progrès alors que l’on complète avidement nos dossiers et documents sur la mythologie grecque (le “codex”) et sa réinterprétation par les développeurs californiens. Aussi splendide plastiquement que merveilleusement écrit, Hades a aussi pour lui de se révéler particulièrement agréable à jouer. S’élancer, esquiver, frapper : la moindre interaction est un plaisir en soi alors que Zagreus semble danser à l’écran. Ces “petites” choses sont de celles qui font les grands jeux.
Sur Switch, Mac et Windows, Supergiant Games, de 20 à 25€
13 Sentinels : Aegis Rim
Par sa finesse autant que par son ampleur, 13 Sentinels est l’une des meilleures surprises de ce début d’automne. Même en ayant souvent loué l’art du graphisme 2D des artisans de Vanillaware, on n’attendait pas le studio japonais au niveau de cette vaste histoire d’adolescents et de mechas dans la grande tradition de Gundam et d’Evangelion, mais avec la patte Vanillaware. S’inscrivant dans la lignée émouvante de la série Sakura Wars (à laquelle le “lycée Sakura” du jeu rend un hommage assez explicite), 13 Sentinels marie le jeu de stratégie (accessible mais profond) et le visual novel, entre lesquels on circule librement (comme entre les histoires de ses différents personnages), et excelle par sa manière d’articuler l’infiniment petit (un regard, un geste, deux silhouettes sous la pluie) et le très grand (l’histoire du Japon, déployée jusque dans la science-fiction). C’est très fort.
Sur PS4, Vanillaware / Atlus, environ 60€
Umihara Kawase BaZooKa !
Episode dérivé d’une vieille série de jeux de plateforme japonaise dans laquelle une jeune cheffe spécialisée dans la préparation des sushis se débat, une canne à pêche à la main, dans un monde peuplé de créatures marines, Umihara Kawase Bazooka ! en abandonne la logique de progression dans des niveaux en scrolling horizontal ou vertical au profit d’affrontements dans des écrans-arènes qui rappellent autant Smash Bros que les jeux d’arcade des années 1980, dans lesquels le but était de “vider” des tableaux successifs comme Bubble Bobble, Joust ou le premier Mario Bros. Quelque chose de cet esprit juvénile souffle d’ailleurs sur cette joyeuse simulation de bagarre kawaii où les ennemis arrivent par vagues successives, qui nous bousculent autant qu’elles nous carressent, et que l’on pratiquera idéalement à plusieurs. “Tout ce qui est attrapé avec la canne à pêche peut être tiré avec le bazooka”, nous assure le tutoriel du jeu. Comment résister à une aussi alléchante promesse ?
Sur Switch et PS4, Studio Saizensen / Success / ININ Games, environ 30€
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