Suite au décès de Jacques Chirac, Christophe Honoré a eu envie de revenir sur un épisode de la vie des “Inrocks” : la couve sacrifiée de l’entre-deux-tours de la présidentielle en 2002.
Le vendredi 19 avril 2002, Christian Fevret (fondateur des Inrocks) et Sylvain Bourmeau (directeur adjoint) bouclaient un numéro à la couve offensivement politique. La photo officielle du président, signée Bettina Rheims, y était recouverte d’un tag rouge incriminant : « Stop à la délinquance ». Pourtant, cette couverture, envoyée en fin de journée à l’imprimerie, ne verra jamais le jour.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sylvain Bourmeau se souvient : “Nous considérions que l’enjeu majeur de ces présidentielles était la disqualification de Jacques Chirac par toutes les affaires judiciaires dans lesquelles il était mis en cause. Avant même de parler de politique, il nous paraissait essentiel de poser cela comme préalable. D’autant plus que la gauche avait refusé d’utiliser cet argument dans sa campagne. Par contre, le thème de l’insécurité était au centre de tous les débats, jusqu’au délire. Cette couve joignait ces deux points : l’illégitimité de Jacques Chirac et le fait que la vraie insécurité était nichée au sommet de l’Etat de façon plus dangereuse que des vols de portables.”
Le président du malgré tout
Pourtant, deux jours plus tard, la révélation des résultats du premier tour – Lionel Jospin est évincé au profit de Jean-Marie Le Pen – rend impossible désormais la publication d’une charge univoque contre Chirac. Soixante-dix mille exemplaires déjà imprimés sont jetés à la poubelle et une nouvelle couverture est conçue dans la nuit avec l’illustrateur de Charlie Hebdo Philippe Honoré appelant à voter Chirac, malgré tout.
Et ce « malgré tout » fait qu’aujourd’hui il est difficile pour une bonne part de notre génération de participer au cirque de l’hommage national dû au Grand Homme. Chirac restera à nos yeux le président du malgré tout, du malgré nous. Comme il est associé depuis le 6 décembre 1986 à l’attelage Pandraud-Pasqua-Monory, dont l’ombre plane sur la mort de Malik Oussekine du fait des violences policières. Comme il fut, de 1983 à 1995, un maire de Paris violemment inactif en matière de prévention auprès des hommes et des femmes touchées par le VIH.
Face à la mise en scène apologétique que nous subissons depuis l’annonce du décès de Jacques Chirac, on peut se demander si nous vivons réellement dans une république et non dans une monarchie. Pariant sur le tout à fait partagé et rarement mis en doute « le roi est mort, vive le roi », ne cherche-t-on pas au prix d’un tour de passe-passe temporel absolument abracadabrantesque à nous présenter cet événement comme le deuil d’un monarque qui devrait légitimement être suivi du couronnement de son successeur. Autrement dit, la bonne mort de Chirac, embaumée par le pouvoir en place, ne serait-elle pas le signe prémonitoire de l’accomplissement de Macron en souverain bien-aimé ?
{"type":"Banniere-Basse"}