Avec ses étranges détournements d’objets, l’artiste donne la mesure de l’écart entre protection et paranoïa.
Auparavant, les canaris étaient utilisés par les mineurs de charbon pour détecter les fuites de gaz toxique. Plus sensibles que les humains, l’interruption de leur chant indiquait qu’un seuil critique de gaz dans l’air avait été atteint. Nous continuons à nous entourer de toutes sortes de canaris mécaniques, ces gadgets domestiques qui rassurent autant qu’ils alimentent une obsession sécuritaire grandissante.
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Cooper Jacoby, artiste de l’entre-deux
L’exposition de Cooper Jacoby à la galerie High Art est truffée de ces gadgets. De grandes structures en forme de matelas sont rembourrées de fibres d’acier et de cuivre censées bloquer le passage des ondes électromagnétiques. Plus loin, un bras mécanique vient frapper un mécanisme en silicone avec la régularité d’une horloge, tout en n’indiquant rien d’autre que son propre bon fonctionnement.
Ailleurs, des masques humanoïdes, dont la forme provient des premiers babyphones, diffusent dans l’espace une fréquence continue : un sifflement de canari enregistré, simulacre mécanique de sécurité qui ne protège plus de rien et continuerait à retentir quand bien même tout le monde aurait déjà été asphyxié.
Lors de chacune de ses expositions, l’Américain Cooper Jacoby, 29 ans, se penche sur les états d’entre-deux. C’est là, dans les limbes de ces zones de gris, que surgissent les nouveaux sentiments de la vie moderne, ceux que nous éprouvons confusément sans encore parvenir à les diagnostiquer clairement.
Tout semble familier sans l’être vraiment
En 2015, pour Deposit, son dernier solo à la galerie High Art, il s’intéressait aux systèmes de communication défaillants et réalisait une série de boîtes postales imprimées de radiographies. A la Fondation Luma Westbau à Zurich, l’hiver dernier, il insérait des têtes de gargouilles grimaçantes au sein d’appareils électroménagers et transformait alors en organismes gloutons une panoplie de climatiseurs, composteurs et autres radiateurs. Avec Susceptibles, l’entre-deux s’applique au conflit entre la mesure mécanique et le ressenti intime, entre la protection et la paranoïa.
Contrairement à la plupart des artistes, Cooper Jacoby ne cherche pas à breveter un vocabulaire visuel qui lui serait propre. La forme s’adapte à l’état psychologique, à l’obsession ou au sentiment qu’il cherche à éveiller. Pour cela, il modifie des gadgets domestiques ou des objets de design par un tuning souvent étrange, parfois mélancolique. Il n’empêche : à la galerie High Art, les formes présentées par le jeune artiste ne ressemblent à rien que l’on aurait déjà vu.
Elles nous placent au cœur d’un environnement où tout fonctionne sans que l’on sache pourquoi, où tout semble familier sans l’être vraiment. Les signaux d’alerte, nous ne savons plus les lire. Plutôt que de craindre que les machines prennent le contrôle, le véritable danger réside dans la perte de l’instinct humain, que nous avons délégué à des mécanismes aussi infernaux qu’absurdes.
Cooper Jacoby – Susceptibles jusqu’au 24 novembre, galerie High Art, Paris IXe
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