Dans son essai Le Génie lesbien, paru le 30 septembre, l’activiste LGBTI et conseillère EELV de Paris Alice Coffin expose la puissance du militantisme lesbien. Au grand jour, enfin !
En juillet dernier, l’opinion publique découvrait Alice Coffin en entendant d’abord sa voix. Fraîchement élue conseillère de Paris sur la liste écologiste, elle avait crié “la honte ! La honte !” en plein conseil de Paris lorsque le préfet de Police de Paris, Didier Lallement, avait rendu un “salut républicain” à Christophe Girard, l’ex-conseiller à la culture d’Anne Hidalgo qui venait de démissionner (ses liens avec l’écrivain Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour viols sur mineurs, avaient été dénoncés lors d’une manifestation devant l’Hôtel de ville). Comme Adèle Haenel lors des César, Alice Coffin s’était levée et avait ouvertement affiché son dégoût. Si la presse a mis le projecteur ce jour-là sur la militante lesbienne, l’élue n’est pourtant pas nouvelle dans le paysage.
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Journaliste pendant de nombreuses années chez 20minutes, elle a créé l’Association des journalistes LGBTI (ou AJL) en 2013 et milité auprès de La Barbe, un collectif féministe qui dénonce le monopole du pouvoir par les hommes blancs. Affublées d’une fausse barbe, les activistes débarquent dans les assemblées et conférences où seuls les hommes ont le droit de siéger.
Les journalistes ont un corps
Dans Le Génie lesbien, ouvrage qu’elle vient de publier aux éditions Grasset, Alice Coffin revient sur ces actions et sur notre histoire émaillée de sexisme. “Le prix Goncourt a été attribué dans 90 % des cas à un homme.” Les exemples cités par l’autrice sont nombreux : “Jusqu’en 1897, seuls les hommes pouvaient accéder à l’Ecole supérieure des beaux-arts. Jusqu’en 1984, seuls les hommes pouvaient participer au marathon olympique”, rappelle-t-elle. “Les femmes doivent se battre sur un terrain qui a été construit pour faire triompher des hommes.” Mais l’essai de la militante pousse son étude du sexisme et du patriarcat plus loin, dans une zone laissée volontairement dans l’ombre.
Selon l’autrice, il règne en France, et notamment dans les médias, une peur panique de la neutralité, une idée confuse de ce qui devrait être l’objectivité en journalisme. “Invoquer la neutralité dans une rédaction, c’est d’abord affirmer que certains peuvent écrire sur tout quand d’autres ont des biais.” Sur les plateaux de télévision, nulle femme portant le hijab pour parler du voile, ni de lesbiennes pour débattre sur la PMA pour tout·es. Pourtant, elle l’affirme : “Il faut revendiquer le biais. Le vécu. La chair journalistique.”
En prônant cette fameuse “neutralité”, qui en réalité n’est qu’un autre visage du neutre masculin, les médias invisibilisent les femmes et encore plus les lesbiennes. “Les médias fabriquent une réalité masculine, blanche, hétéro et aggravent l’oppression sexiste déjà à l’œuvre dans notre société.”
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Occuper l’espace public
Et alors que paradoxalement les lesbiennes restent invisibles dans les médias ou en politique, selon Alice Coffin, elles sont à l’avant-garde de nombreuses avancées humanistes. Ellen Broidy, la première personne qui a proposé de faire une Pride, était lesbienne. Deux des trois fondatrices du mouvement Black Lives Matter, Alicia Garza et Patrisse Cullors, se définissent comme queers. “Seuls des hommes ont pu représenter la France lors de l’Assemblée constituante de 1789. Mais ce sont des femmes qui ont pris le pavé pour aller à Versailles au mois d’octobre”, rappelle l’ancienne journaliste, pour qui les lesbiennes sont les “meilleures militantes du monde” : elles savent occuper l’espace, se mobiliser, sortir dans la rue et brandir des pancartes. A défaut d’être entendues, elles essayent d’être vues.
Et c’est sans doute par leur acharnement à se regrouper et à s’organiser qu’elles sont “la plus lourde menace contre le patriarcat et le système de domination masculine”. C’est ça, le génie lesbien.
Le Génie lesbien, de Alice Coffin, éd Grasset, 240 pp, 19€
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