Alors que sort cette semaine le nouveau roman de Patrick Modiano, Encre sympathique, Christophe Honoré témoigne, dans une lettre adressée à l’écrivain, de l’admiration qu’il porte à son œuvre.
“Cher Patrick Modiano,
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pendant quelques mois, j’ai habité impasse de la Gaîté. L’hiver où vous avez publié Des inconnues. Là-bas, dans une chambre dont les fenêtres donnaient sur le cimetière Montparnasse, j’ai terminé d’écrire mon deuxième roman.
Je me souviens des après-midi d’hiver à alterner les moments d’écriture et ceux à fumer à la fenêtre, observant les enterrements. La nuit, rue Delambre, rue de la Gaîté, je croisais des gens qui sortaient des théâtres et des salles de cinéma, aussi des gens qui traînaient autour des sex-shops.
Les rencontres étaient faciles, sensuelles. Je me disais que, si un jour je devenais cinéaste, je filmerais dans ce quartier. C’était l’époque où je pensais que je ne deviendrais jamais cinéaste, que c’était trop tard, j’avais perdu mon temps, et qu’il était donc tout à fait légitime que j’habite désormais un endroit qui s’appelle “impasse de la Gaîté”.
Parler le premier, est-ce toujours s’expliquer ? Dans Encre sympathique, votre narrateur se force souvent à engager la conversation, il tient à inspirer confiance. Si je vous parle de ce quartier, c’est parce que presque vingt ans après, je viens d’y tourner un film, et lors de son tournage, j’ai beaucoup pensé à vous. Lors de son écriture aussi.
Depuis plusieurs années, je relis vos livres à la recherche d’une phrase, d’un nom, que je prélève et déplace dans ce qui ne peut s’appeler vraiment un scénario, disons un dossier, une idée de cinéma. C’est une opération qui ressemble à faire une bouture en jardinage.
Comme mon imaginaire est un terreau accueillant, bien drainé, il y a eu des pousses. Certaines ont même porté des titres : Si Paris nous sépare, Les Fleurs… Mais il n’y a pas eu de film. Cependant, il est clair pour moi que vous n’êtes pas absent de cette histoire que j’ai tournée l’hiver dernier rue Delambre, dans une chambre de l’Hôtel Lenox et dans le bar Le Rosebud.
Comme vous n’étiez pas absent de La Belle Personne, tourné dix ans auparavant rue du Ranelagh, au lycée Molière. Est-ce que ne pas être absent suffit à être présent ? Est-ce que vous vous reconnaissez parfois au hasard d’un film dont vous êtes spectateur ?
Vous aviez dit à Catherine Deneuve dans une conversation parue dans Les Inrockuptibles que pour vous : “Le cinéma est comme un frère du roman.” Dans votre idée, c’était un petit frère ? Envieux, admiratif ? Un petit frère encombrant ? Ou plutôt un petit frère disparu ? Un chagrin qui a pris la forme d’un fantôme familier ?
Votre dernier livre est régulièrement traversé par un acteur, qui prétend être aussi un criminel. Il a son costume (la veste en mouton retourné), son maquilleur, son texte (l’article de fait divers)… Il me semble que le cinéma dans vos romans s’incarne toujours dans ceux qui le fabriquent, principalement les acteurs, actrices, et très rarement – jamais ? – dans les histoires qu’il projette, ses personnages imaginaires.
Le cinéma chez vous, c’est une bande mystérieuse d’individus dont on sait qu’ils ont une activité, ils font du cinéma, et cela suffit à les rendre dangereux, comme s’ils s’étaient éloignés de notre monde, isolés, comme s’ils avaient vécu une expérience qui ferait d’eux des Orphée modernes.
Cette fois, votre acteur, vous l’avez nommé Gérard Mourade, et il est celui qui a croisé les morts. Ecrire pour vous, serait-ce prendre son tour de guet, quand filmer serait revenir d’où il n’y a rien ?”
{"type":"Banniere-Basse"}