Pour Juliette Gréco, Benjamin Biolay écrivit quatre chansons pour son album de 2003, Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez… Il nous confie quelques-uns de ses souvenirs d’elle.
“En apprenant la mort de Juliette Gréco, j’ai reçu un gros coup derrière la tête et, depuis, je ressens un énorme coup de blues. Je l’aime profondément, et j’ai aussitôt repensé à notre première rencontre. C’était précisément le 22 avril 2002, au lendemain de l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle de 2002.
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On avait aussi bien parlé musique que politique, et ça m’avait grandement facilité les choses de savoir que nous étions sur la même longueur d’onde. Elle n’était ni de gauche ni de droite. C’était une vraie insoumise.
C’était l’ultra-interprète, capable de changer le sens d’un morceau d’un soir sur l’autre
Je me souviens encore quand je l’ai vue pour la première fois sur scène, au théâtre de Villefranche-sur-Saône. J’avais été bluffé en entendant Jolie Môme, La Javanaise et surtout Accordéon, dont j’étais à mille lieues de me douter qu’il s’agissait d’une chanson de Serge Gainsbourg. Mon père était également fan de Juliette Gréco, et c’est l’une de nos rares idoles en commun.
Quand on voyait Juliette Gréco sur scène, c’était l’ultra-interprète, capable de changer le sens d’un morceau d’un soir sur l’autre. Lorsqu’elle chantait Ne me quitte pas de Brel, c’était un ordre ! Elle était bien plus qu’une interprète, c’était une actrice de chansons.
Pour l’album Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez… en 2003, j’avais réalisé une partie du disque aux côtés de François Rauber, l’arrangeur de Brel, et de Jean Lamoot, un complice de Bashung. Comme Miossec, j’avais écrit des paroles sur des musiques de Gérard Jouannest.
En studio, Juliette Gréco était à la fois hyper-professionnelle et mauvaise élève, tout ce que j’aime !
Au studio Ferber, pour te faire une confidence, j’avais été extrêmement surpris que Juliette veuille que je reste dans la cabine d’enregistrement pendant qu’elle chantait. Parfois, elle souhaitait même que je lui tienne la main pour lui donner des impulsions. On ne m’avait encore jamais fait ce coup-là… En studio, Juliette Gréco était à la fois hyper-professionnelle et mauvaise élève, tout ce que j’aime !
Je me souviens aussi d’une session photo pour une couverture du magazine du Monde. Le photographe la tutoyait et lui avait demandé de croiser les bras, Juliette lui avait répondu qu’il fallait la vouvoyer et que pour la peine elle ne croiserait qu’un seul bras. Ni Miossec ni moi n’aurions un jour osé la tutoyer.
Au-delà de la chanson française, Juliette Gréco représentait l’histoire de France. Sa vie est jalonnée de tellement d’événements historiques, entre la Seconde Guerre mondiale, la déportation et la prison. Juliette Gréco n’est pas qu’une chanteuse, elle était aussi actrice. Elle a chanté pour tous les grands poètes. Juliette Gréco, ce n’est pas seulement le Paris de Saint-Germain-des-Prés, c’est la France.
Je n’arrive pas à croire que je ne la verrai plus jamais. C’est douloureux et dramatique, car c’est un bout de la France qui disparaît avec elle. Juliette Gréco était très rare, peut-être trop. Elle était unique, donc inégalable.”
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