Le jeune trentenaire Takahiro Fujita, auteur, metteur en scène et acteur de la contre culture japonaise contemporaine, crée des spectacles hétérogènes, pop et colorés. Entretien.
Jetons les livres, sortons dans la rue est le titre d’un film de Shûji Terayama, une figure culte de la scène artistique du Japon des années 1970. En quoi cet artiste vous émeut-il particulièrement ?
Takahiro Fujita : Je ne suis pas de la génération Terayama. Je suis entré au lycée en 2001 et je n’avais donc que des livres ou des cassettes vidéo pour découvrir son univers, mais des récits d’adultes de mon entourage m’ont impressionné et je me suis passionné pour le théâtre des années 1970. J’adore le titre de ce film qui est le plus connu de son oeuvre mais Terayama a laissé un texte de théâtre, un recueil d’essais et d’autres ouvrages éponymes. Bien que portant le même titre, chaque œuvre est complètement différente. J’imagine donc qu’il avait un attachement particulier pour ce titre. » Moi « , le rôle principal dans le film, était interprété par un débutant. Terayama ne lui attribue pas un personnage, mais l’amène à révéler sa propre personnalité durant le tournage. C’était une façon crue de mettre en lumière le peuple de l’époque. Dans ma pièce aussi, j’ai voulu décrire un endroit qui se situe entre la fiction et la réalité. En montant une pièce des années 1970 aujourd’hui, je ne voulais pas que le public ait le sentiment de visiter le passé, mais qu’il puisse aussi s’approprier cette pièce.
Quels sont les grands mouvements qui traversent votre spectacle ?
J’avais dès le départ l’image du métal, que ce soit pour le son ou pour le décor. Une structure qui se construit, mais pas seulement, qui se démonte aussi. J’ai voulu montrer au public cette répétition de construction et de démontage sans artifice. C’est à cette époque que le Japon a établi les bases de ses relations avec les pays étrangers. Et, dans ce Japon, existait une jeunesse qui refusait les orientations prises. J’ai souhaité que le public vive cette réalité dans un univers empreint de couleurs et de sons métalliques. Dans ma pièce, je me suis basé sur l’intrigue du film, mais j’ai également intégré des citations de Terayama, des artistes interviewés dans les vidéos, des comédiens lors des répétitions. J’ai mixé plusieurs éléments pour en faire une seule musique. C’était une façon de respecter l’esprit du » collage » qui tenait tant à cœur à Terayama et qu’il a expérimenté dans son film.
Que dit l’œuvre de Terayama sur le Japon d’aujourd’hui ?
A l’époque, la jeunesse qui rêvait de l’indépendance du Japon vis-à-vis des Etats-Unis a été mise à genoux. Un sentiment de défaite totale et inacceptable l’a submergée. C’est cette frustration que les jeunes exprimaient sur scène et dans les ruelles des villes. Quand je pense à leur état d’esprit, je me dis que ce n’est pas totalement éloigné de ce que notre génération ressent aujourd’hui.
Propos recueillis par Hervé Pons
Jetons les livres, sortons dans la rue, d’après Shûji Terayama, adaptation théâtrale et mise en scène Takahiro Fujita, en japonais surtitré en français. Du 21 au 24 novembre à la Maison de la Culture du Japon. Festival d’Automne à Paris et Japonismes 2018.