En l’absence de son mari, Gamhee renoue avec trois amies. D’apparence le film le plus léger du Coréen, un triptyque sororal où les hommes ne font irruption que pour perturber l’harmonie en présence.
Dans tout ce qui lie les personnages des films de Hong Sang-soo, la fuite survient parfois comme une trajectoire partagée. Elle ne s’envisage pas comme un bond en avant, mais comme un moteur d’action discret qui pousse les corps à mettre un pied devant l’autre.
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La fuite chez Hong Sang-soo ne se connaît pas elle-même : on ne sait jamais bien où elle conduit, mais elle promet un mouvement vers un ailleurs : un inconnu exotique (In Another Country), un refuge en plein air (Seule sur la plage la nuit) ou des rêves dont on voudrait ne jamais s’extirper (Haewon et les hommes).
Le titre du nouveau film du cinéaste coréen ne laisse aucun doute sur sa nature : c’est aussi un récit de fuite. La femme qui s’est enfuie nous fait d’abord croire que celle qui a fui est cette voisine dont on nous conte l’histoire, au début. Dans l’artisanat extrêmement dépouillé de Hong, l’anecdote a son importance. Elle est une poulie qui met le récit en branle et interroge : la fuite est-elle à craindre ou à embrasser ?
La question reste en suspens, mais on la sent/sait pencher vers la voie d’une émancipation. Car cette échappée est avant tout un état d’être au monde qui ricoche ici sur les personnages féminins. Au premier plan, il y a Gamhee (Kim Min-hee), venue visiter trois amies à qui elle ne cesse de dire combien la solitude lui est étrangère, elle qui n’a jamais été séparée de son mari et qui a fondé la croyance de l’amour sur un principe de présence (s’aimer, c’est être à deux). En face, les vies des autres sont comme le négatif de son existence.
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Certaines de ces femmes se sont défaites de la compagnie des hommes – peu nombreux dans cet opus et entièrement employés à déchirer l’harmonie sororale qui règne, pour révéler leur mesquinerie. Bulles à l’abri des tracas du couple et du masculin, ces échanges prennent vie autour de tables étrangement vidées des bouteilles de soju qui d’habitude y fleurissent. Dans ce nouveau film, l’ivresse a disparu et le désespoir dont elle pansait les plaies s’est adouci.
Kim Min-hee, merveilleuse impératrice de ce royaume des sentiments.
Après les sombres traversées des derniers films de rupture, La femme qui s’est enfuie paraît plus léger, ouvert à une drôlerie de l’ordinaire (savoureuse séquence des chats). Mais dans cette fable, qui métaphorise les relations hommes-femmes au travers d’un amusant prisme animalier (la basse-cour comme ring de combat), la mélancolie n’est pas éclipsée.
Elle irradie dans les traits de Kim Min-hee, merveilleuse impératrice de ce royaume des sentiments. Et nouveauté là aussi : elle a coupé ses cheveux, court. On le sait, dans ce territoire, le sens des choses est murmuré, tout est indice à déchiffrer. L’acte est anodin, mais c’est bien une mue que l’on voit.
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Si La femme qui s’est enfuie a le goût et la douceur de l’amertume, c’est parce qu’il semble sonner la fin de quelque chose dont l’émotion, contenue tout au long du film, n’aura besoin que d’une image (de cinéma) pour éclore. Celle-ci (le remous des vagues comme éternel retour…) contient le secret que l’on veut y voir. Fuir pour mieux revenir ?
La femme qui s’est enfuie de Hong Sang-soo, avec Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Saebyuk Kim (Cor., 2020, 1 h 17)
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