Jeudi 15 novembre à Montreuil, Raphaël Glucksmann et ses collègues de la « Place publique » ont organisé le premier rendez-vous de ce nouveau mouvement mû par quatre urgences : sociale, démocratique, écologique et européenne. Compte-rendu.
Les plus téméraires sont arrivés dès 18 heures pour faire la queue devant l’espace culturel de la Marbrerie à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Soit une heure avant l’horaire fixé par les membres de Place publique. Le « mouvement politique assumé, mû par l’urgence d’agir et la nécessité de changements structurels pour répondre aux périls écologiques et démocratiques », porté dans les médias depuis une semaine par ses cinq têtes d’affiches (Diana Filippova, Jo Spiegel, Claire Noumian, Thomas Porcher et Raphaël Glucksmann) y donne, jeudi 15 novembre, son meeting inaugural.
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Beaucoup d’acquis et quelques curieux
Dans la salle, parmi les 500 personnes présentes, beaucoup d’acquis à la cause, rappelée d’emblée à l’estrade : « Entre les libéraux et les nationalistes, investissons la place publique ». Sur les murs, les hashtags se multiplient comme des post-it pour rappeler les mantras du mouvement : #intérêtgénéral, #action, #terrain, #citoyens, #justicesociale. Le badge est en vente à l’accueil au prix que l’on souhaite, le tote-bag coûte en revanche huit euros.
En attendant le début des festivités, on croise quelques célébrités (Samuel Le Bihan, Emmanuelle Béart, Michel Hazanavicius et sa compagne Bérénice Béjo) et des curieux, comme Caroline et Steve, 24 et 25 ans, de Paris. L’une a voté Hamon à la présidentielle, l’autre Mélenchon. Tous deux revendiquent « ne plus être attirés par les partis », auxquels ils reprochent « rigidité » et « compétition pour atteindre la plus haut place ». « J’attends beaucoup de ce que pourrons apporter les personnalités issues de la société civile, développe notamment Caroline. Qu’ils nous exposent des idées, car ils en ont souvent bien plus pertinentes que les professionnels de la politique ».
Des idées « loin d’être éblouissantes ont le mérite de la cohérence »
Même son de cloche chez Fabienne et Patrick, quinquas révolus, venus en voisins du XIe arrondissement parisien. Eux ont voté Hamon en 2017 et continuent d’être encartés chez Génération.s. Mais Patrick a lu Les enfants du vide, l’essai politique de Raphaël Glucksmann qui cartonne en librairie, en a fait un résumé à Fabienne, et ils se sont dits que les idées évoquées, « loin d’être éblouissantes ont le mérite de la cohérence » et, surtout, sont compatibles à leurs yeux avec celles du candidat socialiste malheureux de la dernière présidentielle.
Mais le temps des alliances est encore loin et à 21 heures, la meeting démarre par une introduction de l’entrepreneuse Diana Filippova, avec des trémolos dans la voix. « Nous ne sommes pas des professionnels de la politique, nous ne savons pas imiter l’émotion ». Le public adhère. Elle lâche les premières salves contre l’un des ennemis du mouvement, Macron : « La démocratie, ce n’est pas être managé ! » Une première prise de parole courte mais qui affiche la couleur lorsqu’elle conclut, sans ambages : « On accomplira tous les combats et s’il le faut, tous les mandats. »
« Humilité, radicalité et exigence »
Lui succède Jo Spiegel, chantre de la démocratie participative qu’il met en pratique à Kingersheim, la commune qu’il administre depuis 1989. Après la première salve, charge lui incombe de poser les bases du rassemblement. Dans un discours aussi concis que celui de Filippova, il égrène les noms : Hannah Arendt, Edgar Morin. Maria Montessori, Chantal Mouffe, Pierre Mendès-France ou Jaurès. Liste non-exhaustive. Il évoque le « chemin subversif » de la démocratie et rappelle ses préceptes : « humilité, radicalité et exigence ». Il conclut, avant de lâcher le micro : « La démocratie est participative où elle ne l’est pas. »
Si certains élus comme David Cormand chez les écolos ont émis des réticences dans la naissance d’un nouveau mouvement à gauche, dans la salle on a pu croiser pêle-mêle : le député Jean-Michel Clément (ex-LREM), le député européen Guillaume Balas (Générations), l’ancien ministre de l’Écologie Philippe Martin (Générations), le conseiller régional Julien Bayou (EELV), ou encore le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel (PS). Le frondeur Christian Paul (PS) a lui lancé un tweet de soutien.
La panne totale de la politique, les périls qui montent, la société qui invente, et…les cynismes qui prospèrent. Donc saluons @placepublique_ une initiative courageuse et tonique. Souhaitons-là clairvoyante et utile. Et oeuvrons pour que les îles fassent arcipel! #placepublique
— Christian Paul (@christianpaul58) November 15, 2018
Des acteurs de la société civiles volontaires et convaincants
Vient le tour des tables rondes de la soirée abordant chaque urgence posée par Place publique. Avant d’évoquer l’urgence européenne, démocratique et écologique, place à la justice sociale. L’occasion de découvrir deux personnalités de la société civile, des « porteurs de causes » comme il faut les nommer ce soir : Judith Aquien, cofondatrice de Thot, l’école de français diplômante pour les réfugiés et demandeurs d’asile de Paris et Île-de-France. Elle dit : « Les femmes et hommes qui sont exilés, se sentent esseulés. Il faut leur donner accès à un toit, à la langue française et aux codes de la société française. Une politique fraternelle est nécessaire. Solidarité et fraternité sont fondamentales pour la démocratie ». Les applaudissements résonnent dans cette ancienne marbrerie du 93 et ne désemplissent pas quand Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, clame : « Il faut encourager les actions sur les questions de la solidarité internationale. Il faut combattre le discours selon lequel ça n’intéresse que des élites car cela concerne tout le monde ».
Devant un public réceptif, l’économiste Thomas Porcher fait son entrée. Offensif, il évoque cette « boule au ventre et ce poids dans la poitrine » qu’il ressent lorsque des êtres humains sont réduits à état de statistique. Rassembleur il appelle à ce que Place publique devienne rapidement « le lieu de ceux qui luttent déjà et de ceux qui veulent lutter… » Si 10 000 personnes suivent déjà le mouvement sur Facebook, ses fondateurs espèrent rapidement y ajouter un zéro, au terme d’une grande tournée à travers la France durant un mois et demi, pour faire connaître le mouvement.
Raphaël Glucksmann se dit « totalement flippé »
Après une table ronde sur l’urgence écologique, c’est l’une des révélations de la soirée qui prend le micro : Claire Nouvian, personnalité probablement la plus à l’aise sur scène ce soir-là. Elle cible d’emblée « cette consanguinité distante et inquiétante entre les lobbys et le pouvoir. » « Et face à Macron, y a quoi, Le Pen » ?, agite-t-elle comme un épouvantail. La fondatrice de l’ONG Bloom, qui milite pour la protection des fonds marins, tente alors de montrer le chemin devant une foule en ébullition : « Quel est notre risque à essayer ? Au pire, on passe pour des imbéciles ! Le seul risque, c’est de nous retrouver dans 30 ans, face à nos enfants, face au désastre écologique qui s’annonce et de nous dire qu’on a rien fait. »
C’est à Raphaël Glucksmann, la tête d’affiche, de clore ce meeting inaugural. A l’aise sur les plateaux de télévision, le fils du philosophe apparaît (et il le reconnaît lui-même) « totalement flippé ». Il le sait, son mouvement intrigue et beaucoup se demandent leur degré d’investissement en vue des échéances électorales de 2019 (européennes) et 2020 (municipales) et 2022 (présidentielle). S’il ne nie pas, il fixe une autre date : 2030, « l’année du moment de la bascule énergétique où l’on ne pourra plus rien faire. On a douze ans pour tout transformer. » S’il ouvre la porte à la gauche, il a aussi semblé se démarquer de Jean-Luc Mélenchon, en affirmant vouloir « plus de démocratie, plus de participation des citoyens » face aux « tentations autoritaires », et en affirmant que « face à la xénophobie », Place publique ne regarderait « pas les sondages. »
« Nous ne penserons jamais à ce qui serait électoralement payant »
Le stress s’effaçant, il reprend une à une les thématiques de Place publique ; alerte sur le risque démocratique et européen en citant « Trump, Poutine, Salvini, Erdogan, Orban, Bolsonaro et le Brexit » ; emprunte l’anaphore, chère à François Hollande : « On ne peut pas faire une République quand 1% capte l’ensemble des richesses. On ne peut pas faire de République quand les services publics se délitent et disparaissent. On ne peut pas faire de République lorsque les lobbies prennent et sont au pouvoir ». Après le constat, place à l’action. Il dit : « On va construire quelque chose sans gardien à l’entrée qui vérifie les votes passés (…) On va redonner du crédit à la parole politique. On va créer un mouvement, des réseaux dans toute la France et au-delà. » Il promet : « Nous ne penserons jamais à ce qui serait électoralement payant ».
Moins de deux heures après son début, le meeting se clôt. Enfin pas tout à fait : ni Marseillaise ni Internationale mais une originale invitation à venir partager dans la salle idées et remarques, comme on pourrait le faire sur une place publique. Les plus optimistes y verront la naissance d’une nouvelle forme de démocratie participative quand les plus pessimistes ne trouveront rien de neuf sinon quelques ressemblances avec la naissance du mouvement En Marche!, il y a un an et demi.
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