Entre tradition sculpturale et réflexion sur le mythe, la magie et le mysticisme, l’œuvre gothico-trashcore du Néerlandais prédit la fin du monde.
Ils sont trois. Trois Jésus métalleux échoués sous une verrière trop basse pour les contenir vraiment. Subitement, ils sont pris de spasmes. Crissant et grinçant, ils entrent dans une danse de Saint-Guy infernale où l’un agite les bras, l’autre le torse, le troisième une longue chevelure noire filasse. Puis plus rien.
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Retour au calme et au silence à peine ourlé du bourdonnement des néons de la galerie. Devant ce spectacle imprévu, on ne saurait dire si l’on assiste à l’obsolescence programmée de gadgets de farces et attrapes d’Halloween ou à celle de l’humanité tout entière.
A la galerie Valentin, trois sculptures montées sur un moteur de manège pour enfants auront suffi à Folkert De Jong pour remplir tout l’espace principal, cette verrière qui peine à les contenir. Intitulées Golgotha, en référence à la colline où le Christ aurait été crucifié, elles ont été moulées sur une statue en bois achetée en Ecosse par l’artiste.
Les sculptures humanoïdes sont sans doute les pièces les plus fortes
En mousse polyuréthane, elles sont à présent striées de teintes saumon, vert pistache, grises et noires, et boursouflées de coulures de goudron et d’étranges protubérances. Avant, dans la première salle, la même matière, le polyuréthane coloré, a servi à confectionner dix tableaux dont chacun rappelle, en lettres évidées, l’un des dix commandements.
Les sculptures humanoïdes sont sans aucun doute les pièces les plus fortes, qui auraient presque pu se suffire à elles-mêmes. Cela fait près de vingt ans que l’artiste néerlandais, né en 1972, réalise ses créatures dont la plupart sont, en général, moulées sur son propre corps – c’est le cas de l’autoportrait grimaçant qui accueille le visiteur.
Si Folkert De Jong prend pour modèle le Christ en croix, c’est avant tout pour convoquer la tradition de sa représentation au cours de l’histoire de l’art, une tradition à laquelle il est attentif et qu’il cite souvent directement. Ses œuvres rappellent ainsi les poupées désarticulées d’Hans Bellmer, les effigies croulant sous le poids de l’histoire de Thomas Schütte, ou les agrégats colorés de Rachel Harrison.
Mais plus que d’un médium, la sculpture et son histoire, Folkert De Jong nous parle d’un point de bascule, l’actuel que nous vivons. Comme tout un chacun, les artistes ne sauraient non plus rester sourds aux frictions socio-politiques d’un début de millénaire dont tout laisse à penser qu’il s’agirait plutôt de la fin apocalyptique du précédent. En témoigne le grand retour des formes figuratives, qui succèdent aux années fric et frime dominées par l’abstraction dite “zombie” ou à l’esthétique Tumblr du début des années 2000.
On pense ainsi aux momies techno de Renaud Jerez
Si l’on observe une représentation écrasante de la vidéo et du film documentaire ou semi-documentaire dans les prix, les biennales et les expositions de groupe, un retour en grâce de la figure humaine se profile également.
En cela, l’équilibre entre l’esthétique gothico-trashcore et l’usage de matériaux organiques de Folkert De Jong résonne avec toute une constellation de pratiques d’artistes soucieux d’imaginer l’impact des mutations sociales et environnementales sur les humains, poupées ballotées au gré des impulsions d’un monde devenu fou.
Parmi ces pratiques, on pense ainsi aux momies techno de Renaud Jerez, lui-aussi exposé à la galerie Valentin ; au drag déliquescent de Raúl de Nieves ; aux amazones sportswear d’Anna Uddenberg ; aux clowns flippants de Veit Laurent Kurz ou enfin à la masculinité flaccide de Jos De Gruyter & Harald Thys.
Une noirceur glamour
En 1998, Erik Davis publie l’essai pionnier TechGnosis, où il analyse la résurgence et les nouvelles formes prises par le mythe, la magie et le mysticisme à l’ère de l’information. Tous les artistes cités s’inscrivent dans cette veine et en incarnent les différentes facettes.
Chez Folkert De Jong, les thèmes du pouvoir, de la guerre, de l’autodestruction de l’humanité et de la terre promise ont toujours été présents dans son iconologie. Mais lors de Last Nation, sa rétrospective au MOCA à Tucson (Arizona) au printemps dernier, le discours se faisait plus explicite.
“Si nous n’arrivons pas à nous unir pour vivre ensemble dans un monde vulnérable, nous serons la génération responsable d’avoir initié la fin du monde.” S’il laissait auparavant planer le doute sur les fantasmes d’apocalypse présents dans son œuvre, la lumière a désormais été brutalement rallumée. Et l’attraction pour une eschatologie d’une noirceur glamour, chassée par la réalité.
Wormwood jusqu’au 8 décembre, à la galerie Valentin, Paris IIIe
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