En France, les hôpitaux se mettent à la réalité virtuelle. Lors d’une opération, afin de réduire la souffrance et la prise de médicaments, un patient pourra être équipé d’un casque. Une technologie qui s’étend au traitement des phobies et à la formation des chirurgiens.
Partout, des cascades de maisons aux couleurs pastel, posées sur des pavés bruns. Comme l’impression de traverser Manarola ou Burano, en Italie. Un lent cheminement à l’ombre des façades laisse le temps d’apprécier l’atmosphère délicate. Quelques pleurs de goélands complètent la balade onirique. Une plage se dessine et, sur l’eau turquoise, des voiliers. Mû par une force tranquille, on flotte jusqu’à des calanques. Quelques nuages adoucissent le bleu du ciel, rythmés par le cristal de notes de musique…
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Carte postale, voyage en amoureux, trip solitaire ? Non, chirurgie orthopédique. Un patient est allongé sur une table d’hôpital, immobile depuis une demi-heure, la jambe triturée par un médecin. Le secret ? Posé sur ses yeux, un casque de réalité virtuelle qui l’emmène dans ce voyage guidé, auditif et visuel, bien loin du blanc stérile d’un bloc opératoire. Objectif : réduire la douleur et l’anxiété à l’hôpital grâce à ce scénario thérapeutique signé Healthy Mind.
https://www.youtube.com/watch?v=wYjeTTKdlQo
La réalité virtuelle (VR ou virtual reality) comme alternative au tout-médicament, c’est le pari tenté par plusieurs entreprises françaises dont cette start-up strasbourgeoise. “On veut intervenir partout où il y a de la souffrance dans l’hôpital”, annonce Malo Louvigné, 24 ans, l’un des trois fondateurs de Healthy Mind.
Une étude clinique en cours pour prouver son efficacité sur la douleur
A terme, ce trio d’ingénieurs souhaite permettre au patient, pour chaque opération douloureuse ou attente stressante, d’effectuer un voyage en réalité virtuelle. Ils ont créé quatre thèmes visant à faire oublier la douleur et l’anxiété afin de diminuer la prise de médicaments. Outre la plage, les patients peuvent, le temps d’une intervention chirurgicale, traverser un jardin zen japonais, une montagne enneigée ou une forêt luxuriante. Rien n’est laissé au hasard, les décors répondent à des principes de colorthérapie, les environnements sonores à ceux de la musicologie.
“Cela permet d’emmener le patient ailleurs pendant qu’on lui fait quelque chose de désagréable” Olivier Ganansia, responsable des urgences à l’hôpital saint-Joseph de Paris
Ces petits films, dont la durée varie de cinq minutes à une heure, sont proposés avant, après ou pendant des opérations sous anesthésie locale, telles que la chirurgie orthopédique, la coloscopie ou encore la pose de sondes urinaires. Depuis son lancement il y a quelques mois, la licence logicielle proposée par Healthy Mind pour quelques centaines d’euros par mois intéresse plusieurs structures.
L’hôpital Saint-Joseph, à Paris, est l’un des premiers à l’avoir acquise. “Cela permet d’emmener le patient ailleurs pendant qu’on lui fait quelque chose de désagréable”, explique Olivier Ganansia, responsable des urgences de la structure parisienne, qui l’utilise entre autres pour suturer des plaies. Une étude clinique supplémentaire est en cours pour prouver l’efficacité de ce procédé sur la douleur liée aux soins.
Le docteur Ganansia est optimiste. “A première vue, certains adorent, d’autres un peu moins. Mais personne ne le rejette. C’est un confort de plus pour le patient. On a beaucoup de retard en France sur la sophrologie ou l’hypnose, il faut s’y atteler.”
Une prolongation d’un outil thérapeutique plus traditionnel : l’hypnose
Au centre de ces techniques futuristes se trouve un outil thérapeutique plus traditionnel : l’hypnose. Mais pas celle du pendule du professeur Tournesol ou des index collés de Messmer : “L’état hypnotique est un état de conscience modifiée induit par le médecin pour plonger le patient dans un état de confort, décrypte Denis Graaf. C’est un rêve éveillé.” Cet anesthésiste-réanimateur est le cofondateur d’HypnoVR, une autre entreprise qui propose depuis un mois ses solutions en réalité virtuelle à l’hôpital.
Toutes les études montrent le caractère bénéfique de l’hypnose dès lors que le sujet y est réceptif. Moins d’anesthésie, moins de médicaments et donc moins d’effets secondaires. Mais peu de thérapeutes y sont formés. En sus, lorsqu’ils le sont, la pratique est à la fois fatigante et exigeante pour le praticien, qui ne doit cesser de parler au patient pour entretenir le “rêve éveillé” durant toute l’intervention.
https://vimeo.com/287217357
Avec la VR, les bénéfices augmentent autant que les contraintes s’amenuisent. HypnoVR, en essai depuis un an dans huit services du CHU de Strasbourg, propose des univers thérapeutiques de sous-bois, de fonds marins ou de plages. Tous sontaccompagnés d’une voix off, féminine ou masculine, au choix du patient, qui récite en fond sonore un script écrit par les hypnothérapeutes.
“Le côté immersif de la réalité virtuelle permet de plonger plus facilement le patient dans cet état de conscience modifiée, grâce à un visuel associé à une parole hypnotique et une musique de thérapie, assure Denis Graff. Il faut toujours surveiller le patient, mais on peut effectuer des gestes supplémentaires comme fixer la perfusion d’un autre patient.”
Il est appréciable pour tous de ne pas entendre les sons des machines
Là où il ne faisait qu’une séance d’hypnose par jour, il peut désormais en mener une dizaine. Lorsque le casque est utilisé, il a noté une baisse significative des doses d’analgésiques pendant mais aussi après les interventions.
« La baisse des doses en anesthésie locale est une véritable avancée. Cela doit devenir un outil de plus pour le praticien » Denis Graff, anesthésiste
Par exemple, lors d’opérations de la scoliose chez l’adolescent, particulièrement douloureuses, les patients gèrent leur morphine via une pompe à leur disposition et en utilisent en moyenne 100 milligrammes. En leur proposant deux séances de VR dans la journée, ils bénéficient d’un effet distractif et apaisant qui en diminue de moitié la prise.
“Ça ne remplacera jamais l’anesthésie générale pour une opération à cœur ouvert, prévient le docteur Graff. Mais la baisse des doses en anesthésie locale est une véritable avancée. Cela doit devenir un outil de plus pour le praticien. Il ne remplace pas, il s’ajoute.”
Un protocole est en cours pour en mesurer l’effet sur un large échantillon d’opérations. Et si l’hypnose ou l’immersion virtuelle ne marche pas pour tout le monde, la VR serait quoi qu’il arrive “bénéfique à tous les patients” car il est appréciable pour tous de ne pas entendre les sons des machines ou le cliquetis des instruments dans la plaie.
Une efficacité prouvée contre les douleurs chroniques et les phobies
Ces entreprises qui dessinent la médecine de demain sont héritières de plus de vingt ans de recherche sur la connexion entre VR et santé. Nombre de travaux ont déjà prouvé leur efficacité sur les douleurs chroniques et les phobies.
En 2004, une étude américaine a montré une réduction de la souffrance de grands brûlés plongés en réalité virtuelle lors du changement de leurs pansements. Mais à l’époque, la VR, développée par de rares entreprises, n’était accessible qu’à des sommes avoisinant plusieurs milliers de dollars. La démocratisation récente de casques portatifs, proposés à quelques centaines d’euros, a conduit nombre d’acteurs à s’engager sur ce créneau.
L’une des premières en France à y avoir cru est Mélanie Péron, à la tête de L’Effet Papillon (entreprise sociale). En 2007, on diagnostique une leucémie aiguë au compagnon de cette ancienne bibliothécaire. Commence alors pour lui une période “ultra violente”, en secteur entièrement stérile, coupé du monde. L’épreuve la marque profondément. En 2010, elle a un déclic en regardant le film Avatar. “J’ai senti qu’il y avait un truc à faire pour amener de la légèreté à l’hôpital.”
Elle crée un prototype un an plus tard mais doit attendre 2016 et l’arrivée des casques de VR légers et fluides. Associée à des médecins et des développeurs, Mélanie Péron lance le programme Bliss qui propose aux patients des univers féériques et poétiques, bien loin des paysages hyper réalistes d’Healthy Mind. “On essaie de connecter à l’enfance, décrit-elle. On a une démarche proche du jeu vidéo.”
Un panel d’univers le plus large possible
Elle imagine trois scénarios. Une prairie peuplée de moutons et de licornes, des fonds marins regorgeant de poissons et une plongée dans l’espace, dont les graphismes rappellent la légèreté et la rondeur de Kirby, petite boule rose héroïne d’un jeu vidéo. Le tout accompagné d’une musique pour permettre “un voyage”.
En septembre 2016, Jacqueline, patiente de 70 ans, subit une ponction de moelle osseuse en passant quinze minutes à se balader virtuellement au milieu de moutons mouvants aux allures de nuages. “Je n’ai rien senti, à part un petit picotement au moment où on m’a retiré l’aiguille”, témoigne-t-elle à l’époque.
La plupart des concepteurs pensent qu’il faut un panel d’univers le plus large possible – féériques ou réalistes –, pour répondre aux diverses attentes et sensibilités. Chez HypnoVR, on travaille sur de tels projets. A Lyon, une autre entreprise, Deepsen, a fait le pari inverse. Sur le même principe du voyage hypnotique, elle propose des images filmées par des caméras à 360 °, en France, en Inde ou au Groenland. Un parti pris selon lequel il serait plus simple de s’immerger dans des paysages existants.
Avec des résultats encourageants. “Pour l’instant, on arrive à baisser d’environ 40 % le score d’anxiété préopératoire, sans aucun médicament”, se réjouit l’un des cofondateurs de Deepsen, Tanguy Perrin. Et si dans le casque les images filmées présentent un rendu moins net que celles de synthèse, peu importe dans la mesure où ce retard qualitatif sera vite rattrapé.
De véritables avancées en matière de kinésithérapie
Probable, en effet, puisque les avancées technologiques étendent sans cesse le champ des possibles. L’arrivée des traqueurs sur les nouveaux casques permet désormais de se déplacer en réalité virtuelle. A Montpellier, Franck Assaban, kinésithérapeute s’en sert depuis deux ans. Avec son entreprise Virtualis, il propose la VR dans la rééducation fonctionnelle ou dans le traitement des phobies. Il développe des thérapies en immersion virtuelle qui permettent de traiter ces pathologies.
“C’est un adjuvant, Ça s’ajoute au travail manuel du kiné.” , prévient-il. Pour récupérer de la mobilité, après une jambe cassée par exemple, les gestes du praticien restent indispensables. Mais les exercices en VR donnent des résultats surprenants.
Comme pour cette joueuse de tennis professionnelle, gênée dans les mouvements de tête rapides ce qui la rendait dans l’incapacité de servir. Franck Assaban lui pose le casque devant les yeux. Dans son champ de vision, un petit cercle rouge immobile au centre duquel, en pivotant la tête, elle doit faire rentrer les insectes qui apparaissent de tous les côtés en bourdonnant. “Elle a fait soixante mouvements là où elle n’en faisait que trois sans le casque.”
“L’intérêt de la VR pour les phobies, c’est sa progressivité”
Pour ce type d’exercice, les graphismes sont proches du cartoon. “Le côté ludique est important, explique-t-il. Pour traiter les phobies, c’est beaucoup plus réaliste.” Chez ce kiné du futur, les personnes souffrant de vertige se retrouvent dans un ascenseur qui monte plusieurs étages pour s’ouvrir sur une planche suspendue dans le vide, qu’elles doivent parcourir en ramassant des objets, le tout sans quitter le cabinet.
Effet garanti. “L’intérêt de la VR pour les phobies, c’est sa progressivité, étape par étape”, estime le spécialiste. Les logiciels de Virtualis, lauréat de nombreux prix, sont désormais présents dans près de vingt pays.
Dans le domaine de la santé, la VR est également utilisée en amont des opérations, notamment pour former les médecins. Pour Jérôme Leleu, à la tête de SimforHealth, cela part d’un principe : “Jamais la première fois sur le patient.” Une gageure en chirurgie où il est compliqué de s’entraîner avant d’être jeté dans le grand bain, c’est-à-dire le bloc opératoire.
L’entreprise vend ses logiciels aux universités. Concrètement, l’étudiant se retrouve plongé dans une salle d’opération virtuelle et doit effectuer les gestes qu’il accomplirait sur un patient. “Et ça marche, assure Jérôme Leleu. En immersion, le médecin est là pour sauver un patient, pas un avatar.” Il en veut pour preuve ce module où les étudiants affublés d’un casque de VR doivent faire une ponction du pneumothorax.
Des soins dispensés à des avatars
Ils dispensent des soins à un avatar, dans un environnement virtuel extrêmement réaliste. Comme au bloc, la seringue peut tomber. “Au lieu de se dire ‘c’est du virtuel, ce n’est pas grave’, certains l’ont nettoyée, d’autres l’ont jetée et en ont pris une autre. Ils y sont vraiment.”
Pour l’instant, plus que le geste technique à proprement parler, les formations se cantonnent à l’approche procédurale, soit la succession d’étapes nécessaires pour mener à bien une opération. Les manettes manuelles à gâchette ne permettent pas de sentir s’ils ouvrent un corps ou saisissent un objet. “Cela sera pour la prochaine génération de casques”, estime Jérôme Leleu.
En attendant, SimforHealth mise sur cette technique. De 15 % de son activité aujourd’hui, la VR devrait représenter plus de 50 % dans quelques années. Un département de la Queen’s University au Canada a fait appel à cette société bordelaise pour accueillir un module de formation entièrement dédié à la VR. Là aussi, des études sont en cours pour mesurer le degré d’efficacité de l’apprentissage grâce à de telles méthodes.
Faut-il craindre l’intérêt des laboratoires pharmaceutiques pour la VR ?
Tous ces protocoles, dont les résultats définitifs seront connus d’ici six mois à un an, intéressent les poids lourds du secteur : les laboratoires pharmaceutiques, tout particulièrement les études touchant à la réduction de la douleur. Tanguy Perrin est plutôt confiant. Deepsen, a gagné un prix de e-médecine décerné par le laboratoire Novartis. Il n’y voit pas de menace.
“Ces labos remettent des prix à des entreprises en rupture avec ce qu’ils font, mais j’ai envie de croire qu’il y a de la place pour tout le monde. Si les gros acteurs se mettent sur le créneau, tant mieux, ça sera une grande force de frappe pour le diffuser.”
Un autre acteur de la thérapie VR est plus sceptique. Lors de certains salons, il assure être régulièrement approché par des émissaires anonymes de laboratoires qui tentent de récupérer quelques infos “mine de rien”. “On sent qu’ils font de la veille sur nous, sourit-il. Forcément, notre objectif est de diminuer les médicaments, ce n’est pas leur intérêt. On a conscience qu’ils sont là. Peut-être attendent-ils le bon moment.” Une preuve de plus des promesses de la VR dans la médecine.
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