Les discussions sur la légalisation du cinéma indépendant, en cours depuis plusieurs années à Cuba, aboutissent aujourd’hui à la reconnaissance juridique des créateurs œuvrant en marge du système officiel. Une avancée qui n’est pas synonyme de liberté pour autant.
A partir d’aujourd’hui, le cinéma indépendant n’est plus illégal à Cuba. Ce mardi 24 septembre marque effectivement l’entrée en vigueur d’un texte approuvé en mars dernier, et entré au journal officiel de la République de Cuba au mois de juin. Le Décret-loi n°373, qui stipule la reconnaissance juridique des créateurs audiovisuels et cinématographiques indépendants, semble signer l’issue, au moins pour un temps, d’un débat engagé sur l’île depuis de nombreuses années.
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Une emprise institutionnelle
A Cuba, le cinéma est réglementé par l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC). Première institution culturelle républicaine du pays, elle a été fondée au lendemain de la révolution, en mars 1959, son organisation restant peu ou prou inchangée depuis. Mais les acteurs du cinéma indépendant cubain, lassés du monopole d’Etat exercé par une structure qui règne en maître sur la production et contrôle les projections, ont milité pour la légalisation des œuvres privées et une réforme de l’ICAIC. Ils viennent d’obtenir partiellement gain de cause.
Les films non estampillés par l’ICAIC étaient jusqu’ici jugés illégaux, bien que tolérés depuis le début des années 2000. Financé par des fonds privés, le cinéma indépendant souffre d’un statut mineur au sein d’un marché dominé par la production officielle, exception faite de quelques films qui ont pu s’émanciper dans une certaine mesure du régime. Ainsi de la comédie dramatique Fraise et chocolat de Juan Carlos Tabio et Tomas Gutierrez Alea (1993), qui racontait la relation amoureuse entre un étudiant castriste et un jeune homme marginal et homosexuel, ou du docufiction Suite Habana de Fernando Perez (2003), qui suivait le quotidien d’habitants de La Havane.
Derrière la légalisation, le visage du régime
Désormais légal, le cinéma indépendant va bénéficier de la reconnaissance juridique de ceux qui le créent. Un statut qui vient faciliter la situation contraignante à laquelle ils étaient soumis jusque-là : les sociétés, qui n’étaient pas considérées comme des entreprises, n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque et travaillaient au titre de « groupes créatifs ». Le Décret-loi qui entre en vigueur aujourd’hui vient donc combler un vide juridique, et devrait permettre aux créateurs, qui pourront aussi recourir à un fonds de soutien, de monter plus efficacement leurs projets.
Néanmoins, ce Fonds pour la promotion du cinéma cubain, encore à l’état de gestation, sera rattaché… à l’ICAIC, et sera essentiellement alimenté par l’Etat. L’attribution d’une aide se fera sur concours. Dans un pays où les autorisations de tournage sont délivrées par le ministère de l’Intérieur, la légalisation du cinéma indépendant se voit donc ternie par des règles du jeu qui demeurent dictées par la puissance étatique.
Un cinéma indépendant toujours contraint par la censure
Si le régime a pu autoriser parfois la diffusion et l’exportation de films teintés d’ironie, c’est parce qu’il veut faire bonne figure et véhiculer l’idée qu’il encourage des œuvres portant un regard (modérément) critique sur la situation politique et sociale de Cuba, comme l’atteste la sortie de Juan of the Dead (2011), une comédie horrifique qui évoquait la relation entre Cuba et les Etats-Unis et l’exil de Cubains cherchant à fuir leur pays.
Par ailleurs, malgré un certain assouplissement, vient s’ajouter à cette censure toujours vigoureuse le problème de la diffusion des œuvres. Alors que l’apparition de la vidéo dans les années 1980, puis du numérique dans les années 2000, avait donné une certaine liberté aux cinéastes, le cinéma non-officiel fait encore les frais d’une politique de contrôle. Il est fréquent que des films cubains reconnus à l’international ne soient pas distribués à Cuba. Aussi, les films ayant reçu une autorisation de diffusion à Cuba et qui parviennent jusqu’à nous proposent souvent une vision assez peu nuancée de l’état du pays, à l’instar de Chala, une enfance cubaine d’Ernesto Daranas.
Si la production de films indépendants est désormais simplifiée, les créateurs n’auront donc pas pour autant champ libre et leurs intentions artistiques courront toujours le risque d’être étouffées par une censure d’ordre politique, que viendra peut-être redoubler une interdiction d’exploitation.
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