Au-delà du simple pamphlet focalisé sur l’affaire des perquisitions de militants “insoumis”, Et ainsi de suite est un livre politique qui contient de belles embardées sur l’histoire de la gauche, et le “panthéon spécial” de son auteur.
Publié le jour même du procès de Jean-Luc Mélenchon et de cinq de ses proches (Bastien Lachaud, Alexis Corbière, Manuel Bompard, Bernard Pignerol et Muriel Rozenfeld), le 19 septembre, pour l’affaire des perquisitions, Et ainsi de suite est un livre de combat certes conjoncturel. L’essentiel de ses pages, rédigées par le leader de la France insoumise (LFI) sous forme de carnet de bord de son séjour en Amérique latine entre le 29 juillet et le 30 août, est consacré à sa défense, sur un ton résolument pamphlétaire.
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Vendu comme le récit d’“un procès politique en France”, il met en perspective ce qu’il considère comme une dérive autoritaire de l’Etat sous Emmanuel Macron. Le député des Bouches-du-Rhône y analyse la comparution en correctionnelle de ses camarades (et la sienne) comme le “premier cas typique de lawfare, c’est-à-dire d’une instrumentalisation délibérée de la justice et de la police par le pouvoir pour atteindre un but d’élimination politique d’un adversaire”. Pour rappel, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a requis trois mois de prison avec sursis contre Jean-Luc Mélenchon (le jugement a été mis en délibéré au 9 décembre).
Sur les pas de “Lev Davidovitch”
Ecrit avec fièvre, ce libelle distribue donc les coups d’estoc avec générosité, tantôt à “l’avocat macroniste Dupond-Moretti”, tantôt au “duo de la répression aveugle que forment Castaner et Belloubet”, sans compter “Alexandre Benalla à qui on a demandé gentiment à quelle heure on pouvait venir le perquisitionner”, ou encore “la presse qui collabore avec le parquet” (Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs annoncé le 23 septembre sur son blog qu’il n’accordera plus d’accréditation à l’émission Quotidien pour ses événements). Mais ce sont moins les smashs – auxquels les chaînes d’info en continu, qui les repassent à l’envi, nous ont trop habitués – que l’endurance du joueur de fond de cours qui retiennent l’attention du lecteur (a fortiori, une fois le moment fort du procès passé).
Jean-Luc Mélenchon a le goût de l’écriture et de la lecture – même ses adversaires politiques reconnaissent souvent en lui un collègue “lettré”. Bien qu’obéissant à un impératif d’actualité, Et ainsi de suite est donc plus ample qu’il n’y paraît. Le lecteur s’en rend compte d’ailleurs très vite, en lisant le récit que fait l’ancien militant trotskiste, membre de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), de son entrevue avec le petit-fils de Léon Trotski, au Mexique. La description de Sieva Esteban Volkov (c’est son nom), âgé de 93 ans, rencontré dans la maison même où l’ancien chef de l’Armée rouge a été assassiné en 1940 par un sbire de Staline, annonce la couleur (toujours rouge).
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Mots doux pour José Bové
Son voyage en Amérique latine, continent qu’il affectionne depuis toujours (il a participé à la lutte contre les dictatures argentine et chilienne), est l’occasion d’embardées historiques et autobiographiques touchantes et enlevées, bien loin du tristement célèbre bisou esquimau avec le policier qui gardait la porte du QG de LFI, le 16 octobre 2018. Au détour de la lecture d’un portrait de Louise Michel signé Laurent Joffrin dans Libération, l’ancien sénateur socialiste s’attarde sur la figure de la “Vierge rouge”, qui est dans son “panthéon spécial” depuis le jour où il a “croisé l’ombre de ses pas en Nouvelle-Calédonie, où elle fut déportée”. “Le cœur plein de vertu est hors de portée de la souillure de ses bourreaux”, écrit-il à son propos.
Sa radicalité morale, au moment d’enjoindre ses juges à la fusiller comme les autres communards (car elle se déclarait aussi coupable qu’eux des événements de la Commune), lui rappelle celle de José Bové. Jean-Luc Mélenchon n’a donc pas que des mots durs. “Les paroles injustes qu’il a eues contre moi ne me font pas oublier quel lutteur courageux a été Bové et quel bond en avant dans la prise de conscience populaire a permis son engagement”, écrit-il à propos du faucheur d’OGM, qui a fait de la prison pour ce geste de désobéissance civile.
Souvenirs de la perquisition de la LCR
Des mots doux, le tribun (qui assume toujours avoir lancé “La République, c’est moi !” à la figure des policiers, il s’en explique longuement) en a aussi pour le militant trotskiste Pierre Broué, le journaliste d’enquête Pierre Péan (décédé il y a peu), Lula bien sûr, mais aussi François Mitterrand. Au passage, Jean-Luc Mélenchon rappelle que l’ancien premier secrétaire du PS avait fait front avec le leader de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Alain Krivine, arrêté en 1973 lors de la dissolution du parti trotskiste (suite à une bataille rangée avec des policiers qui protégeaient un meeting d’extrême droite).
Une perquisition musclée de son local, défendu alors par Edwy Plenel, avait mis au jour des armes et des cocktails Molotov. “Il [Alain Krivine] était entouré dans une marche commune par Edmond Maire, alors secrétaire général de la CFDT, et par François Mitterrand, premier secrétaire du PS. Leurs successeurs se sont contentés de me jeter des pierres avec les autres”, note avec amertume le chef de file de LFI, qui a tout de même reçu le soutien de l’ancien ministre mitterrandien Pierre Joxe lors de son procès.
Le “magistrat le plus fantastique qu’on puisse imaginer”
Des personnalités moins connues sont aussi extirpées de la pensine mélenchonienne, comme l’avocat argentin Julio César Strassera, le “magistrat le plus fantastique qu’on puisse imaginer”. C’était le procureur du procès de la junte militaire en Argentine, auquel Jean-Luc Mélenchon a assisté pour avoir “tiré d’affaire deux femmes détenues au terrible camp de torture El Vesuvio”. Cet avocat avait déclaré : “Les brutes croyaient détruire des idées en massacrant ceux qui les portaient. Nous les jugeons sur des faits en leur donnant tous les moyens de se défendre.” Commentaire de l’auteur : “Que son nom traverse les gouffres du temps et du néant.”
On ne refera pas Jean-Luc Mélenchon. Cela fait longtemps qu’il répète que la révolution citoyenne requiert des “têtes dures”, et il demeure bien la première d’entre elles. Alors oui, il se compare à Jean Jaurès, qui aurait été caricaturé comme lui en “animal agressif et violent”. Il affirme aussi, de manière bravache, au sujet des perquisitions : “Je n’ai qu’un regret : avoir ignoré qu’ils [les “deux malheureux pandores” qui bloquaient la porte du QG de LFI] étaient si fragiles aux décibels.” Lui-même reconnaît qu’il se fera “traiter d’arrogant” pour certaines lignes de son brûlot. Mais, alors qu’il a fêté ses 68 ans cet été – la date de sa naissance politique –, qu’attendre d’autre qu’un peu de soufre sublimé ?
Article mis à jour le 24 septembre à 9h51 avec la mention sur le refus de Jean-Luc Mélenchon d’accréditer Quotidien à ses événements.
Et ainsi de suite, de Jean-Luc Mélenchon, éd. Plon, 192 p., 10 €
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