Avec « Mon Cher Enfant », Mohamed Ben Attia filme l’implosion d’une famille comme une douce tragédie. Pudique et sensible.
Après son premier long métrage Hedi – un vent de liberté, qui voyait un jeune homme bien élevé et bientôt marié s’émanciper de l’emprise familiale grâce à une rencontre amoureuse inattendue, c’est à nouveau autour du sentiment d’enfermement, de la quête de liberté et du fossé générationnel que se concentre Mon cher enfant, le nouveau film de Mohamed Ben Attia, présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes.
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Soit la vie sans histoire de Riadh (Mohamed Dhrif, bouleversant de pudeur), cariste au port de Tunis, de Nazli, sa femme professeure d’arabe obligée de faire des allers retours entre la maison et l’université située hors de la ville à Maktar et de leur enfant Sami, lycéen de 19 ans. Tout dans la vie de l’homme bientôt retraité paraît paisible et ordonné. A l’image des tons doux et bleutés qui éclairent le film, la démarche lente et les yeux rieurs de Riadh dégagent une sérénité à toute épreuve. Seul désordre dans ce quotidien bien rangé : les violentes migraines à répétition de Sami, source d’inquiétude pour les parents si attentifs.
Quelque chose suffoque, étouffe
C’est de cette trop grande attention portée à ce fils chéri que Mohamed Ben Attia fait naître un déséquilibre, un malaise. Soudain, le réalisme épuré de Mon cher enfant se fissure. Dans le petit appartement familial, lieu de paix et d’échanges, quelque chose étouffe, suffoque. Tout paraît trop propre, trop soigné. Les maux de tête de Sami que l’on prenait pour les manifestations d’anxiété d’un garçon en pleine transition deviennent alors les signes alarmants d’une grave maladie. C’est autour de ces deux hypothèses que toute la première partie du film, dévouée à dépeindre la routine familiale, gravite. Et c’est au moment où l’on pensait le mal enfin guéri que Sami disparaît. On apprendra vite qu’il est parti pour la Syrie.
Comment s’emparer d’un sujet d’actualité dont on connait désormais par coeur les images (Les Cowboy de Thomas Bidegain , Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar…), la terminologie, les poncifs, égrenés par de nombreux reportages télé, sans que celui-ci ne dévore le film tout entier ? Pour Mohamed Ben Attia, ce sera en adoptant exclusivement le point de vue ce père dépassé, en privilégiant l’intime au collectif, le singulier au général. De l’embrigadement progressif du fils, nous ne saurons presque rien. Comme un gouffre trop profond pour être représenté, la vie intime du garçon ne nous sera jamais donnée à voir. Seuls les vomissements dûs aux migraines de Sami, ses airs rêveurs et parfois sombres apparaîtront comme les signes discrets d’un malheur à venir, aussi brutal qu’inattendu. Car (presque) rien ne semblait augurer ce départ soudain. Et si autour de Sami, dans la ville de Tunis, à la sortie de l’école, sur le port, dans les quartiers populaires, dans les bars où l’on boit et danse jusqu’au petit matin tout vit, c’est pourtant loin des siens que l’ado pense trouver un nouveau chez soi et la liberté qu’il lui manquait.
Une tragédie devenue tristement banale.
C’est dans son minimalisme, son approche quasi documentaire, sa manière de recomposer les gestes du quotidien et l’apparente simplicité du réel que Mon Cher Enfant trouve sa plus grande réussite. On reconnait là l’influence évidente des frères Dardenne, à nouveau coproducteurs du film après Hedi – un vent de liberté. C’est également au cinéma de Philippe Faucon que l’on pense devant le parcours de ce père qui imaginait qu’un travail et une famille suffirait au bonheur de son fils. On y retrouve ces mêmes qualités de grand portraitiste, ce même dévouement envers les personnages, ce même réalisme épuré. Mais chez Ben Attia comme chez Faucon, la pudeur rime parfois avec rigidité et l’on regrette à certains endroits que le cinéaste tunisien ne s’écarte de son programme intelligemment élaboré pour que l’émotion, un peu trop soigneusement cadenassée, ne jaillisse davantage.
Avec calme et douceur, cramponnée à la nuque de ce père dépassé et trop longtemps aveuglé, la caméra de Mohamed Ben Attia filme l’effritement progressif de cette famille tranquille comme une tragédie devenue tristement banale, une catastrophe sans obstacles extérieurs où rien, ni personne ne viendra empêcher Riadh de se lancer à la recherche de son fils sur les routes de Turquie jusqu’à la frontière de la Syrie. Là, de passage dans un abri vétuste planté au milieu de nulle part où il doit passer la nuit avant de reprendre sa route, le père au visage fatigué rencontrera un homme à qui il contera son malheur. « Mon fils c’est toute ma vie je ne veux que son bonheur. » lui dira-t-il. « On dit tous ça mais au fond c’est le nôtre qui nous importe… » répondra le vieillard. Sans apporter une réponse sociologique ou intime au départ de Sami, Mon cher enfant laisse tout de même penser que son sujet n’est pas tant la radicalisation que le mal être d’une jeunesse perdue, refusant d’emprunter le schéma tracé pour elle par d’autres.
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