Les quatre coins du cœur, le roman inachevé de Françoise Sagan retrouvé dans ses papiers, vient de paraître « complété » par son fils, Denis Westhoff. Décevant.
Le roman inédit de Sagan fait partie des trois livres qui sortiront ces jours-ci avec un lancement en fanfare – embargo, stratégies, exclusivités à certains journaux, etc. Les Quatre coins du cœur, donc, non annoncé dans le programme de Plon, publié out of the blue le 19 septembre, sera suivi par le recueil des nouvelles inédites de Marcel Proust le 9 octobre, et Les Testaments de Margaret Atwood, la suite de La Servante écarlate trente ans après (n’y voyez aucun opportuniste lié au succès de la série – sic) le 10 octobre. Un conseil : se méfier de ce qu’en diront les journaux choisis par les éditeurs pour en diffuser extrait ou critique en exclusivité – ceux-ci se retrouvent trop souvent obligés d’en dire du bien.
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Le Sagan posthume, par exemple, laisse songeur… l’héritier de l’écrivaine, son fils Denis Westhoff, qui en signe l’introduction mais pas seulement, dit avoir retrouvé ce texte dans les biens de sa mère : « Le roman, bien que mince, ne tenait que par une reliure de plastique – de celle qu’utilisent les étudiants qui publient leur thèse – et figurait en deux volumes (…) ». Après, étonnement, il lui a fallu du temps pour comprendre que les deux formaient un seul texte et qu’il s’agissait bien d’un roman inédit. Et puis « son état d’inachèvement me semblait tel qu’il paraissait imprudent d’en confier la lecture à une personne en qui je n’aurais pas toute confiance. » le manuscrit comporte des trous : « privé de certains mots, parfois même de passages entiers, souffrait de telles incohérences » que le projet de le donner à réécrire par un auteur contemporain est abandonné…
L’univers de la romancière
Et pourtant, le livre sort aujourd’hui, présenté comme un roman complet, le fils de Sagan confiant avoir lui-même édité, bouché les trous de ce texte, l’avoir retravaillé. Mais jusqu’à quel point ? Difficile de le dire, puisque dans cette édition, ce qui appartenait au manuscrit d’origine de Sagan n’est pas précisé. Résultat : un drôle de texte assez vieillot, un peu bâclé comme une ébauche, dont la petite musique de l’auteure de Aimez-vous Brahms – mélange de mélancolie, de légèreté désespérée – a disparu. On a beau s’accrocher à certains mots comme à des madeleines, tels le mot « chandail », tellement fifties et sixties, tellement Sagan (longtemps je me suis imaginé ce chandail à grosses côtes en laine moutarde, porté sur un jean et pieds nus, comme devait le porter la jeune auteure de Bonjour Tristesse à Saint-Tropez…), ravive l’émotion de la découverte de l’univers de la romancière.
A part ces quelques repères prétextes à réminiscences, ne reste qu’une histoire archétypale, faites de personnages archétypaux : les Cresson, grands bourgeois, riches et cyniques, père et fils et épouses. L’écriture est si désincarnée que l’on peine à s’intéresser l’intrigue amoureuse qui suivra ; tout a l’air dépassé en 2019. Fallait-il publier ce texte inachevé de cette façon, « complété » par un autre, même si celui-ci est le fils de Sagan ? Ou plutôt le publier dans l’état dans lequel il a été retrouvé, afin que l’on puisse voir la manière dont travaillait la romancière – ses choix, ses ratures, ses manques, etc -, un peu à la façon dont le roman inachevé de Vladimir Nabokov, L’Original de Laura, avait été publié en 2009. Cela aurait été tellement plus juste.
Françoise Sagan : Les Quatre coins du cœur (Plon) 201 p, 19 euros.
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